Où va l’argent du pétrole?


Sommes-nous stupides ou simplement fous? Il suffit que le prix du pétrole baisse de quelques centimes pour que le soufflé se dégonfle. Plus une ligne dans les journaux. Réglé, le problème de l’inflation et l’encombrement des centres-villes par les «quatquat». Aux oubliettes, les grandes théories sur la pénurie d’or noir et les énergies alternatives. Au compost, notre mauvaise conscience qu’alimentent les effets calamiteux du pétrole: la guerre, l’encouragement de la corruption, le creusement des inégalités sociales, la pollution des terres, la destruction de la faune. Jusqu’à la prochaine poussée de fièvre…

Ce jour-là, on reparlera immanquablement de la consommation de la Chine, des raffineries à l’arrêt et de l’ouragan du moment. On stigmatisera à coup sûr les cartels pétroliers et les effets de manche du président Chavez, le Castro vénézuélien. Avec le vague sentiment qu’il pourrait s’agir de fadaises, que l’on nous mène en bateau, une fois de plus.

D’ailleurs, au stade où nous en sommes et vu que les experts ne parviennent pas à un diagnostic fiable, pourquoi ne pas lier tout simplement le yo-yo pétrolier à de la pure spéculation? A une gigantesque manip’ orchestrée par des gens sans scrupules. Des gangsters, quoi. Cette hypothèse très peu politiquement correcte émane d’un très sérieux journaliste économique au «New York Post». Ce dernier, John Crudele, confirme ce que personne n’osait dire tout haut avant cette crise: «Si les prix grimpent, c’est parce que Wall Street les veut élevés.»

Relayant ces propos, la Fédération romande pour l’énergie, un organisme qui n’a rien d’un repaire altermondialiste, constate que les chocs pétroliers ont profondément changé la façon dont sont déterminés les prix du baril du pétrole. «Les contrats à prix stables ont été remplacés par les marchés à terme, offrant ainsi la possibilité aux financiers d’agir directement sur les prix.» Et de pointer du doigt ces nouveaux acteurs financiers que les funambules de la spéculation nomment «hedge funds», les investisseurs alternatifs. «Beaucoup de ces fonds possèdent des capacités d’investissement de plus d’un milliard de dollars cash. Cela leur donne un pouvoir énorme sur le marché du pétrole.»

L’espoir de voir la situation changer prochainement? Il est maigre. D’abord parce que la première puissance mondiale est aux mains des lobbies pétroliers. Ensuite parce que la bourse, désormais complice de nos caisses de pension, nous tient par le bout du nez. Si le citoyen-consommateur avait du ventre, il se lancerait dans un boycott massif de l’essence, le seul susceptible d’inverser la spirale infernale en forçant les compagnies pétrolières à se recycler ipso facto dans l’énergie propre. Car où vont les milliards du pétrole, si ce n’est dans les coffres des grandes banques suisses qui ont vu affluer, ces derniers mois, les fonds en provenance de Russie et des pays arabes? Interrogé par le magazine fribourgeois «Bethleem» qui consacre un excellent dossier au pétrole dans son édition de novembre, un dirigeant de BP Suisse a au moins l’honnêteté de le reconnaître: «Nous gagnons beaucoup d’argent, actuellement.»

Article paru dans “La Liberté” du 25 novembre 2005

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