Dans l’espace normalement réservé au rédactionnel, hors de toute mention publicitaire, les prix s’y affichent sans complexe en face de la marchandise, transformant le journaliste en scribe d’une campagne marketing. Le lecteur, lui, n’est plus qu’un otage de la culture consumériste. Promenade dans le « Matin Dimanche » du 25 décembre 2005.
Ca commence fort. En page 4, un grand article sur les prix cassés invite à acheter chez X. un vélo d’appartement de marque V.. 299 francs au lieu de 449. Chez Y. à Genève, on peut aussi trouver un ordinateur de marque Z. pour 1499 francs: vous économisez 300 francs. Et si vous allez chez XY, c’est une peluche géante que vous emporterez avec une réduction de 25%.
Page suivante, on pénètre dans l’univers « pipeule ». Sous un article vantant les derniers services de la Poste, la patronne d’une fabrique d’horlogerie genevoise présente la bague de mariage truffée de diamants d’Elton John. Semaine après semaine, la même personne remplit les pages « clic clac » aux côtés d’autres personnalités de l’industrie du luxe. Normal, sa maison est un bon soutien publicitaire des médias du groupe Edipresse qui imprime « Le Matin Dimanche ».
« Points forts », le deuxième cahier du « Matin Dimanche », ouvre avec la « sudokumania ». Une page entière consacrée à ce jeu et à son inventeur qui fait l’objet de l’interview de la semaine. Cela tombe bien: le Matin vend ses grilles dans les kiosques. Par ailleurs, Edipresse sponsorise une émission de la Télévision suisse romande dédiée au Sudoku. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, le même thème remplit, trois cahiers plus loin, la moitié de la rubrique « Temps libre ».
Les étiquettes bardées de prix reviennent en force dans le cahier « Mode de vie »où l’on conseille de skier couvert. Bonnet, casque, voire slip protecteurs deviennent l’atour indispensable pour qui ne tient à passer pour un ringard. Les chiffres ne sont pas désuets non plus.
Le lecteur prêt à débourser 4 francs pour un journal si parfaitement intégré dans la logique commerciale, serait déçu s’il ne trouvait pas de Noël gastro dans sa chronique gourmande. Devant la cheminée, sur une bonne table du Gros de Vaud, l’assiette du jour se négocie à partir de 25 francs. En bas de page, une publicité vantant le livre de recettes d’un cuisinier connu de la région complète le décor.
« Boire ne fait pas forcément grossir » titre le journal un peu plus loin.On est heureux pour les fabricants de champagne qui obtiennent une publicité gratuite dans la colonne adjacente. Quatre marques, leurs vertus, leurs prix et surtout la cave où les trouver. Qu’est-ce qu’ils ont dû s’amuser, les confrères qui les ont signées!
Et qu’est-ce qu’elles ont dû se marrer, les rédactrices de « Femina », le magazine encarté dans le « Matin Dimanche ». Un festival de cadeaux, comme cette pub à l’oeil faite à la maison Caviar House ou cette autre concédée aux poufs machin chose: une page entière de cirage. Nulle part il n’est fait mention de publireportage, pourtant.