Une psy au pays des gourous


La comparaison ne me paraît pas vaine dans la mesure où les “bons” gourous me paraissent être de bons psychologues (et aussi des éducateurs) comme je l’ai découvert lors de mes nombreuses lectures. La nécessité pour les indiens de recourir à un guide spirituel qui est souvent un guide de vie, m’est apparue après la lecture d’un livre passionnant “The Inner World: a Psycho-Analytic Study of Childhood and Society in India”, écrit par Sudir Kakar, un psychiatre indien qui enseigne à Harvard.

Selon cet auteur, la plupart des petits enfants ne reçoivent pas d’éducation au sens où nous l’entendons avant l’âge de 7 ans. On les considère comme inaptes à toute compréhension avant l’âge de raison. Il n’y a pas d’éducation à la propreté, pas de demande pour la tenue à table (de toute façon à tout âge, tout le monde mange avec ses doigts), peu ou pas de consignes concernant les dangers potentiels. Les enfants restent dans les jupes de leur mère qui tolère tout et est pratiquement à leur service. Cela leur donne une bonne confiance en soi, mais aucune pratique de la discipline si utile pour le développement personnel (voir le livre de Scott Peck: “Le chemin le moins fréquenté”). A sept ans, les garçons quittent le monde des femmes et, en entrant dans celui des hommes, tâtent de l’autorité absolue du chef de famille: l’âge d’or est bien fini. Quant aux filles, c’est lorsqu’elles se marient et quittent leur famille pour être sous la coupe du mari et de leur belle-mère que l’insouciance de l’enfance se termine.

La confrontation aux difficultés d’adaptation avec sa belle-famille et la maternité contraint le jeune indienne à devenir plus responsable et plus adulte. En revanche, traditionnellement, les jeunes hommes ne quittent jamais leur mère puisque c’est toujours la jeune épousée qui va vivre avec sa belle famille. Il n’est probablement pas facile de devenir véritablement adulte dans ces conditions. En fait la majorité des indiens sont dispensés de prendre la responsabilité de leur vie. La caste dicte le métier qu’ils devront exercer et leur mariage est arrangé… Les deux grandes décisions qui permettent à l’être humain de sortir de l’adolescence leur sont refusées. Ainsi, on observe parfois des comportements puérils qui apparaissent par exemple dans le désir d’être toujours le premier, en bousculant, en resquillant dans les queues, dans les petits mensonges infantiles pour se disculper, dans une susceptibilité exacerbée, dans une ignorance du danger qui leur fait prendre des risques insensés.

Il y en Inde un grand respect de la tradition. Il n’est guère possible d’y déroger. En fait, la religion n’impose pas vraiment de règle de vie. Chacun doit trouver le dieu qu’il choisit d’honorer et de vénérer. En revanche, les rites sont nombreux et doivent être suivis scrupuleusement. Le contrôle social est également très prégnant. Les indiens s’y conforment sans se poser trop de questions. Il y a aussi une grande soumission à l’autorité apprise lors du rude passage dans le monde des hommes. Peu d’employés sont capables de prendre une décision simple et encore moins d’avoir des initiatives! Enfin, dans cette société surpeuplée il est exceptionnel d’avoir des instants de solitude et de réflexion sur soi-même.

Ainsi, l’enseignement des gourous me paraît être d’abord une intervention éducative au sens noble du terme: apprendre à prendre soin de soi et à assumer la responsabilité de ses actes; prendre ses distances avec “l¹égo” que de nombreux maîtres spirituels identifient à l’orgueil (ce fardeau si lourd à porter, comme disait un moine franciscain); chercher la vérité au-delà des apparences; laisser tomber le masque social pour devenir soi-même; devenir conscient de ses pensées (qui conditionnent sa propre réalité). Voici deux citations éclairantes:

“Soyez attentifs à vos pensées. Vos pensées deviennent vos paroles.
Soyez attentifs à vos paroles. Vos paroles deviennent vos actes.
Soyez attentifs à vos actes. Vos actes deviennent vos habitudes.
Soyez attentifs à vos habitudes. Vos habitudes deviennent votre caractère.
Soyez attentifs à votre caractère. Votre caractère devient votre destin.”
Frank Outlaw

“Un homme n¹est que le produit de ses pensées. Ce qu’il pense, il le devient.”
Mahatma Gandhi

Tout cela, et d’autres enseignements pleins de bon sens, me renvoient à des conceptions psychothérapiques classiques, notamment les idées de C.G. Jung sur l’art de vivre consciemment et la thérapie cognitive et comportementale. C’est très rassurant: la sagesse qui conditionne l’art de vivre a ses racines dans les profondeurs de l’être. Et la qualité d’être humain transcende les frontières et les conventions.

Les gourous insistent beaucoup sur les bienfaits de la méditation. Méditer, c’est faire le silence en soi, prendre conscience du dialogue intérieur constant que notre mental nous impose: le fameux “petit vélo qui tourne dans la tête”. On tente de calmer ce bavardage interne incessant en imaginant les pensées qui passent et s’envolent sans laisser de trace. Pas vraiment facile. Puis, on se laisse aller en toute confiance, muscles relâchés, on s’abandonne à plus grand que soi. La méditation est un état modifié de conscience comparable à ce qu’on cherche lorsqu’on pratique la sophrologie, la relaxation profonde ou l’hypnose thérapeutique. Ceci m’a été confirmé par des indiennes lors d¹une conférence que j’avais donnée sur l’hypnose.

Je ne peux m’empêcher de penser que si la méditation, prônée par la plupart des religions, est en principe, une excellente chose, on ne nous en donne pas souvent le “mode d’emploi”. Voici une méthode de méditation donnée par le célèbre gourou Osho:

1) S’asseoir confortablement et fermer les yeux. Inhaler longuement par le nez et retenir sa respiration aussi longtemps que possible. Expirer par la bouche et garder les poumons vides aussi longtemps que possible. Après quelques respirations profondes, reprendre son souffle naturellement.

2) Regarder calmement la flamme d’une bougie.

3) Fermer les yeux et se lever et laisser son corps se relaxer et se mouvoir simplement comme il en a envie. Ainsi faisant, on ne se plie pas aux désirs du mental, mais on s’accorde sur l¹esprit universel. Se laisser aller. Laisser l’énergie universelle agir sur son corps.

4) S’étendre, toujours les yeux fermés et faire le silence en soi.

Cela ressemble un peu à ce qu’on connait de la sophrologie et de l’induction hypnotique… Cela ne peut pas faire de mal … sauf si l’on entre dans une transe négative! (Si, pratiquant cela, de vilaines pensées vous assaillaient, levez-vous vite et allez faire un tour).

Il me semble qu’en Inde, la méditation est des plus nécessaires, car c’est peut-être le seul moment où personne n’ose vous déranger et où on peut s’isoler un instant . En Inde, on n’est pratiquement jamais seul. Plusieurs familles partagent le même logement: les parents, leurs fils et leur belles-filles ainsi que les petits enfants. Dans les milieux aisés, il y a aussi quelques domestiques qui sont constamment présents pour satisfaire aux moindres besoins des maîtres. De plus, les indiens, et pas seulement les gens aisés, ont leur téléphone mobile qu’ils laissent allumé, partout, même au concert, même au temple. Il y a chez eux un besoin d’être “connecté”, comme si un instant de silence ou de solitude correspondait à de la “non-existence”. Je me rappelle avoir été interloquée par une réflexion de mon professeur de yoga, lors d’une de nos sessions. Son mobile n’ayant pas sonné depuis une heure, il me dit: “Personne ne pense à moi…”

Quoi qu’il en soit, il y a en Inde une véritable spiritualité qui transparaît aussi de manière impressionnante dans les milieux d’affaires. Nous avons eu le privilège de développer des liens privilégiés avec des “businessmen” de haut vol, patrons d’énormes sociétés en pleine expansion. Ils nous ont parlé en toute simplicité de leur lien avec leur gourou, de leur attachement à tel ou tel dieu. Un jour, rentrant d’un dîner, l’un d’eux nous pria de nous arrêter au temple d’Hanuman (le dieu singe), car il y faisait ses dévotions chaque jour. C’était un choix personnel et il le faisait, car ainsi il se sentait bien. Certains jeûnent tous les lundis en l’honneur de Shiva, d’autres le mardi en l’honneur d’Hanuman. Devant les usines, il y a toujours un temple dédié à la divinité tutélaire du propriétaire. C’est souvent Ganesh, le dieu éléphant. Et à la maison, ces amis sont fiers de montrer leur petit autel personnel qui parfois occupe une chambre entière.

Cette authentique piété nous paraît être une grande richesse. Est-ce la source de la grande créativité de ces entrepreneurs? Ou de leur “nez” infaillible pour trouver les créneaux porteurs de bénéfices spectaculaires. Ou de leur management très efficace et très intuitif? Toujours est-il que, plus d’une fois, nous nous sommes dit qu’en Suisse il nous faudrait quelques brillants patrons de cette espèce pour sortir le pays de son doux ronronnement.

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