Il y a du bon et du mauvais dans le gouvernement Sarkozy. Des décisions (nouveaux contrats de travail baptisés flexi-sécurité, défiscalisation des heures supplémentaires, etc.) censées remettre la France sur le chemin de la croissance. Mais aussi des couacs, des incohérences et des mesures qui choquent en raison de leur caractère précipité ou des liens entre Sarkozy et certains décideurs dont elle confirme la pérennité.
Le projet de suppression de la publicité sur les chaînes de télévision et les radios du service public fait partie de ces mesures troublantes dont on finira, tôt ou tard, par connaître le véritable dessein. À partir du 1er janvier prochain, il n’y aura plus aucune publicité commerciale sur ces médias. Officiellement, il s’agit de s’inspirer de l’exemple de la BBC et d’engager ces chaînes et radios sur la voie d’un surcroît de qualité. Pour compenser le manque à gagner dans leur budget, la pub représentant un tiers des recettes (et la redevance télé les deux autres tiers), les chaînes publiques recevraient de l’argent de leurs concurrentes privées.
Autrement dit, un pourcentage sur les recettes publicitaires de TF1 et M6, principalement. Mais cela ne sera pas suffisant et Nicolas Sarkozy a annoncé une solution complémentaire : une taxe spéciale sur les ventes de téléviseurs, d’ordinateurs et de mobiles.
TF1, une chaîne boulimique mais plus hégémonique
Une telle idée entre en collision avec les idéaux libéraux du président de la République qui prétend libérer la vie économique du fardeau bureaucratique entravant la croissance. Tout le monde le sait, à commencer par les Brésiliens étouffés par le nombre exubérant d’impôts et de taxes : prétendre résoudre un problème en infligeant aux consommateurs une nouvelle taxe revient à se tirer une balle dans le pied car cela alourdit les coûts de production et déconcerte les consommateurs obligés, eux, de payer la note.
Mais pourquoi tant d’incohérence et d’obstination de la part du chef de l’État sur cette question de la suppression de la pub sur les chaînes publiques alors que les dirigeants des grandes agences de publicité, pour ne mentionner qu’eux, soulignent l’absurdité d’un tel projet ? France 2 et France 3 ont un public souvent différent de leurs concurrentes du privé. Un public qui intéresse, précisément, certains annonceurs.
Alors, beaucoup d’observateurs des médias mais aussi de citoyens lambda attribuent ce nouveau projet défendu par le président aux relations très étroites qu’il entretient avec la famille Bouygues, propriétaire de TF1, le plus important groupe audiovisuel privé en Europe. Cela ne pourra qu’en renforcer la puissance de feu publicitaire. (Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, le 20 janvier, la présidente de TF1 Publicité révélait que la pub occupe près de 10 % du temps d’antenne de la chaîne.)
De belles recettes supplémentaires en perspective, à l’heure où l’audience de la chaîne amiral du groupe, TF1, souffre d’un émiettement de son audience. TF1 ne réalise plus les scores obtenus dans le passé. Il arrive même que certaines émissions passent sous la barre fatidique des 30 % de part de marché. Cela s’explique en grande partie par la multiplication des chaînes de télévision sur la TNT (télévision numérique terrestre) : il y en a pour tous les goûts et les chaînes généralistes sont menacées par l’exacerbation de la concurrence. L’un des animateurs vedettes de TF1, Julien Courbet, s’en plaignait lui même au micro d’une station de radio. Selon lui, il faut s’attendre à ce que TF1 se contente d’une audience inférieure à 20 % dans quelques années.
France 2 dans le collimateur du «Prince du cash»
L’une des nouvelles concurrentes de TF1 s’appelle Direct 8. Elle appartient à un autre « copain » de Sarkozy : le Breton Vincent Bolloré. Après avoir fait fortune dans le transport en Afrique et la distribution de produits pétroliers et pris un quart du capital d’Havas, ce patron millionnaire investit dans les médias, aussi bien l’audiovisuel que l’écrit. (L’on distribue chaque soir, devant les bouches de métro, Direct Soir, un quotidien gratuit d’une qualité rédactionnelle médiocre.)
Surnommé «le petit prince du cash», Bolloré a les moyens de ses ambitions : il a annoncé qu’il investirait 500 millions d’euros dans son pôle communication, soit 500 millions d’euros.Une rumeur court dans les rédactions des journaux à Paris : l’homme d’affaires breton serait intéressé par l’acquisition de France 2, chaîne en perte de vitesse (11 % de part de marché). En effet, la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévision voulue par Sarkozy viserait à fragiliser l’audiovisuel public dans le but de rendre plausible, aux yeux du pouvoir, la privatisation de «la 2».
Au fait, quel généreux mécène a-t-il mis son yacht puis son jet privé à la disposition du président de la République lors de ses vacances ? Vincent Bolloré, évidemment…