Politiciens dans la peau d’otages


Député chrétien-social au Conseil national et président du syndicat Travail.Suisse, Hugo Fasel ne reste pas indifférent face à la crise qui secoue les banques impliquées dans l’affaire dite des «subprime» aux Etats-Unis. Il se déclare d’autant plus à l’aise pour la commenter qu’il est économiste de formation et a siégé pendant quelques années au conseil de la BNS.

L’UBS affiche une perte record suite aux amortissements qu’elle a dû consentir dans l’affaire des «subprime». Votre réaction?

Hugo Fasel: Tout le monde focalise sur le patron de l’UBS, Marcel Ospel. Je ne veux pas défendre ce dernier, mais mon souci principal se porte ailleurs. Je trouve inquiétant que certains acteurs économiques adaptent les règles du jeu libéral à leur façon. La déréglementation a fait que l’on a accordé toutes les libertés aux marchés financiers. Et voilà qu’à la première grande difficulté, les banques reviennent vers l’Etat pour le supplier d’intervenir.

Disons que c’est la Banque nationale qui est intervenue pour soutenir la bourse…

Oui, mais c’est quand même un fonds d’Etat singapourien qui a injecté 11 milliards dans l’UBS! D’ailleurs, je vous le demande: que se passerait-il s’il n’y avait pas cette manne? Eh bien, on ne tarderait pas à requérir l’aide de la Confédération. La Suisse ne peut pas laisser tomber l’UBS!

Le syndrome Swissair?

Absolument, et cela dans une autre dimension, avec des implications beaucoup plus graves pour la crédibilité du pays et la confiance placée dans le sérieux de son travail. Au bout du compte, c’est le contribuable qui paie. Le côté cocasse de l’histoire, c’est que l’on octroie aux grandes banques ce que l’on conteste parfois aux banques cantonales. Comme si les grandes banques disposaient de la garantie étatique.

Vous êtes syndicaliste. Quelles sont les conséquences sociales de la crise?

La réduction de la croissance économique touche en premier lieu les travailleurs et les PME. Je trouve choquant que l’UBS passe des milliards sous pertes et profits et que la banque centrale mette tant d’argent sur le circuit pour stabiliser la bourse alors que l’on rechigne au moindre engagement en faveur de l’économie. Vous imaginez les syndicats demandant 10% d’augmentation salariale? On nous répondrait tout de suite: «Mais vous détruisez l’économie!» Les patrons qui se rendent à Davos devraient se préoccuper de savoir pourquoi l’économie réelle est au service des marchés financiers où règne la spéculation. Les économistes se taisent car ils ont peur de remettre en question le néolibéralisme.

Pourtant l’intervention d’un fonds d’Etat singapourien ne relève pas d’une attitude à proprement parler néolibérale.

Non, et il eût été absolument impensable d’envisager un tel scénario il y a seulement deux ans. Les débats auraient été absolument déments, en Suisse. Aujourd’hui, par la force des choses, la résignation règne. Vu l’absence de transparence, personne ne sait ce que nous réservent nos fonds de pension et nul ne songe à poser la question de la responsabilité, alors que les acteurs de la crise se sont comportés avec une légèreté coupable en accordant des crédits sans couverture suffisante. A croire qu’ils sont complètement déconnectés des réalités économiques.

Après moi le déluge… Finalement, ne faudrait-il pas contraindre les acteurs de la débâcle à endosser une part de responsabilité. Une autorité quelconque ne devrait-elle pas déposer plainte?

Poser la question c’est y répondre. La globalisation des marchés offre en effet une échappatoire en matière de responsabilité. Dans leur partie de monopoly, les acteurs perdent un jour et rejouent le lendemain. Ils ont le sentiment que la faute n’est pas visible, ils profitent de l’anonymat mondial avec la certitude qu’à la fin, l’Etat ou la banque centrale les tireront de tout mauvais pas. A titre personnel, en tant que parlementaire, je me pose la question: que ferai-je le jour où l’on me demandera de voter un crédit de 12 milliards pour sauver l’UBS? Je n’admets pas que la politique endosse le rôle du pompier, mais il me faudra bien admettre ma condition d’otage. Ce jour-là aurais-je vraiment le choix?

*Interview parue dans “La Liberté” du 14 février 2008

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