L’humanitaire doit retourner… à l’humain


Or les organisations humanitaires fonctionnent comme des entreprises du secteur privé: elles sont en concurrence entre elles. Même si les humanitaires refusent de le dire ouvertement, ils sont plus proches de l’économie de marché que d’un idéal communiste.

L’humanitaire s’est cru tout puissant, nouveau garant de la morale mondiale sans se rendre compte de sa limite, le droit d’ingérence. Terme bateau, récupéré par les gouvernements pour faire passer des interventions à caractère colonialiste et défendant leurs intérêts économiques sous le sceau du droit. Il est facile pour tout humanitaire, ou politicien qui fait du droit humanitaire son fonds de commerce de proclamer que le Kosovo doit être indépendant au nom du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, mais essayez de trouver le même engouement dans la presse et chez les politiques pour dire que la Russie viole chaque jour les droits humains en Tchéchénie et autres républiques satellites.

Aujourd’hui l’humanitaire ne doit pas croire qu’il est au centre de la marche du monde mais est un élément de cette marche: si une ambulance est nécessaire elle n’est heureusement que minoritaire dans le trafic routier! Ce n’est pas de la modestie mais le monde ne vit pas en urgence humanitaire, tout comme une autoroute n’est pas un champ de bataille.

L’humanitaire doit donc revenir à un rôle où il s’interdit de frayer de trop près avec les gouvernements: on ne doit jamais considérer le fait que d’intervenir militairement, aussi justifié que cela puisse être, est de l’humanitaire. Un Etat n’est pas humanitaire! Lorsque la Marine Anglaise du début du XVIIIème siècle s’arrogeait le droit d’arraisonner tout navire sous n’importe quel pavillon afin de vérifier qu’il ne transportait pas des esclaves parce que le gouvernement britannique avait abrogé l’esclavage, elle faisait dans “l’ingérence humanitaire”.

Ce n’était pas de l’humanitaire: l’empire britannique ne pouvait pas se permettre économiquement d’employer des travailleurs libres dans les secteurs où ils étaient esclaves avant alors que la France avait vu Napoléon réintroduire l’esclavage ce qui était une concurrence inadmissible. “L’ingérence humanitaire” était dictée par des raisons commerciales! Le tsunami est peut-être un des rares exemples où les gouvernements ont dû avoir une réaction “humanitaire” mais c’était moins par vocation que parce qu’ils ont été débordés.

Arrêtons de vouloir faire croire que tout ce que nous faisons est bien, pertinent, réfléchi et réussi. Si nous sommes quelque part les hérauts du donateur, nous ne sommes pas des héros sans peur et sans reproches. Nous avons nos faiblesses, nos doutes, nos fatigues, nos défauts, nous commettons des erreurs. Le dire c’est aussi se rapprocher des donateurs en leur montrant que nous sommes seulement des humains comme eux et que nous n’avons pas seulement besoin de leur argent mais aussi d’une sympathie sans besoin de nous déifier, d’une attitude amicale, seulement humaine.

* www.journaldegeneve.ch , No 39 (15 au 23 février 2008). Ancien commandant de marine marchande, co-fondateur de la Fédération suisse de déminage, l’auteur a travaillé notamment pour le CICR et Terre des hommes. L’article que nous publions est extrait d’un texte écrit au retour d’une mission en Asie.

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