Le coup de bluff du lobby nucléaire


Le risque d’accident majeur s’est accru au cours des 20 dernières années. L’énergie nucléaire est en perte de vitesse. L’establishment politico-financier, lui, roule pour les grosses centrales avec l’alibi du climat.
Christian van Singer, vous siégez au Conseil national dans le camp des Verts. L’industrie nucléaire, parce qu’elle produit très peu de CO2, affirme qu’elle est la solution pour sauver la planète. Le réchauffement climatique ne serait-il qu’un coup du lobby nucléaire?Christian van Singer: Ce n’est pas un coup du lobby nucléaire mais ce dernier utilise à fond l’argument pour ressusciter une technologie moribonde. Il n’y a pas plus de réserves d’uranium que de pétrole bon marché. En outre, le problème des déchets n’est résolu que sur le papier. Je dirais même qu’il est probablement insoluble. Et puis les centrales nucléaires n’offrent pas une sécurité absolue. Intéressante est la polémique soulevée en France après l’arrestation du porte-parole de l’association «Sortir du nucléaire». Cette personne a publié un document frappé du sceau «confidentiel» montrant que les nouveaux réacteurs européens à eau pressurisée, dont les autorités affirment qu’ils sont indestructibles, sont aussi vulnérables aux attentats que les anciennes centrales. En fait, le risque d’accident majeur s’est même accru au cours des vingt dernières années.

Pourquoi?

Parce que, à l’époque, il y avait moins de folie. Depuis les attentats du 11 septembre, on ne peut plus rien exclure. Pourtant beaucoup de choses ont changé qui permettraient de se passer du nucléaire. Les progrès techniques ont été considérables dans le domaine de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Celles-ci se sont développées à un point qu’elles pourraient remplacer le non-renouvelable. La question étant de savoir si ces mêmes énergies renouvelables arriveront à s’imposer. Le lobby nucléaire est très puissant, il utilise des moyens considérables, il s’assure l’appui des administrations et des gouvernements.

Même en Suisse?

Et comment! Avant d’entrer au Conseil fédéral, M. Couchepin n’était-il pas le vice-président d’Elektrowatt? Avant de faire partie du gouvernement, Mme Leuthard ne siégeait-elle pas au conseil d’administration d’une centrale nucléaire? Tout l’establishment politico-financier helvétique est favorable au choix des grosses centrales centralisées plutôt qu’aux décentralisées. Mais il ne veut pas en assumer tous les coûts. L’assurance en responsabilité civile est limitée à un montant ridicule, compte tenu des centaines de milliards en jeu, en cas d’accident majeur. Si les promoteurs des centrales devaient payer la gestion des déchets pour les 10 000 prochaines années ainsi que les frais d’assurance, ils renonceraient, car le prix du kwh serait trop élevé. La responsabilité du lobby s’achève le jour où l’on place le bouchon sur le dépôt de déchets nucléaires. Après, c’est à la collectivité de se débrouiller.

Antinucléaire de la première heure, vous êtes aussi membre de la Commission de l’énergie, de l’environnement et de l’aménagement du territoire. Un bon promontoire?

Je ne crois pas trahir de secret en observant que l’UDC s’oppose systématiquement aux propositions qui concernent l’énergie renouvelable, ce qui prouve une fois de plus qu’elle ne défend pas les intérêts de la paysannerie suisse. En face, les socialistes et les verts jouent à fond la carte du renouvelable et les radicaux et les démocrates-chrétiens tergiversent. J’espère néanmoins qu’ils finiront par réaliser que l’efficacité énergétique et les renouvelables constituent un atout considérable pour l’économie suisse. Une partie des milliards de francs qui partent en fumée chaque année pour acheter l’énergie fossile pourraient être investis dans la rénovation et la construction de bâtiments moins gourmands en énergie.

Reste que 27 centrales sont en construction dans le monde. 136 sont projetées…

Oui, mais combien d’autres vont être arrêtées? Le bilan est à peine positif. Il n’est que de voir qu’en 2006, l’accroissement de la production d’électricité d’origine nucléaire ne représentait que la production d’une centrale nucléaire. Le lobby fait beaucoup de pub pour des centrales en bout de vie. Il fait le forcing car le temps joue contre lui. Alors que le nucléaire arrive à peine à se maintenir, parallèlement, la production de renouvelable progresse. La même année, l’augmentation de la production de courant éolien, par exemple, équivalait à quatre centrales nucléaires dont une rien qu’en Allemagne.

Sera-ce suffisant pour satisfaire la consommation, à terme? On prévoit que dans 25 ans, elle aura doublé.

Cette prévision se base sur une augmentation de la consommation de 2% par an. On ne peut pas continuer comme ça. Il est totalement utopique de penser que l’on doublera la production des barrages, du nucléaire, du gaz ou du pétrole. Après 50 ans d’efforts, le nucléaire ne représente que 2,1% de l’énergie produite dans le monde. Il faut donc arrêter de gaspiller et développer les énergies renouvelables.

Admettons que la Suisse revoie sa politique nucléaire. Pourrait-elle agir isolément?

Toute proportion gardée, la Suisse figure parmi les nations les plus nucléarisées. L’Autriche s’en passe, l’Allemagne envisage de sortir du nucléaire. En France, il est vrai, la situation est toute différente. Le groupe EDF emploie 2000 politiciens qui font la promotion du nucléaire. L’actuel patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn est l’un d’eux. Le président Sarkozy profite de chacun de ses voyages pour vendre du nucléaire. Ce pays aura une lourde responsabilité en cas d’accident ou de guerre nucléaire. Car le changement climatique fragilise le nucléaire. Il n’y aura pas assez d’eau pour refroidir les centrales. Fin 1999 déjà, pendant la tempête Lothar, la France a frôlé l’accident nucléaire majeur à Blaye. La moitié des pompes du circuit ont été inondées.

*Interview parue dans “La Liberté” du 30 mai 2008

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