Alors qu’il semblait acquis que le seuil de CO2 à ne pas dépasser dans l’atmosphère était 550 parties par million de dioxyde de carbone et que la principale controverse était ce qu’il fallait faire ou ne pas faire pour rester en deçà de cette valeur, Bill McKibben, journaliste du Washington Post, lançait à la fin de l’année dernière un pavé dans la mare avec l’hypothèse que la limite pourrait bien être 350 ppm. Pour beaucoup, le chiffre était irréaliste et certains suggérèrent que 450 serait une valeur à considérer ; 350 reviendrait à inventer une machine à se déplacer dans le temps vingt ans en arrière pour prier nos ancêtres de modifier leur comportement, soulignait Joe Romm de l’Institut Climate Progress.
Le calme semblait donc revenu lorsque Le Monde, sous la plume de Stéphane Foucart, nous annonçait le 10 avril dernier que la Terre pourrait déjà avoir dépassé le seuil dangereux de CO2, en se basant sur des travaux non encore publiés par le Goddard Institute for Space Studies (un institut dépendant de la NASA). Cette fois, le directeur Jim Hansen et ses coauteurs évaluent bien le seuil de danger à 350 ppm environ. Or ce niveau a été atteint en 1990, il se situe aujourd’hui à 385 ppm et augmente à raison d’une à deux unités chaque année. Mais tout cela n’est pas grave nous rassure la climatologue Valérie Masson-Delmotte dans ce même article du Monde. Le dépassement du seuil n’est pas immédiatement dangereux ; il l’est sur le long terme. « Si le CO2 est maintenu pendant une longue période à un niveau supérieur à cette limite, il y a un risque de se placer sur une trajectoire menant à un dérèglement climatique dangereux et irréversible ». Suivent des considérations sur ce qu’on pourrait appeler la glorieuse incertitude de la science, puis la raison de la raison : « James Hansen, 67 ans, est un habitué des controverses. Il est le premier scientifique à avoir attiré, en 1988, l’attention des médias et des politiques sur le climat. Très engagé, il a lancé en 2007 une campagne pour demander aux gouvernements allemand et britannique d’interrompre tout programme de construction de centrales à charbon. Au-delà de ces questions, ses travaux ouvrent une question profonde sans rapport avec la science ou la politique : jusqu’où les hommes du XXIe siècle doivent-ils chercher à prévoir les conséquences de leurs actions ? »
Sans rapport avec la science ou la politique ? Laissons la responsabilité de cette affirmation au journal Le Monde et la parole à James Hansen : « Le principal obstacle au sauvetage de la planète n’est pas d’ordre technologique, le problème, c’est que 90% de l’énergie est produite par des ressources fossiles. Et c’est un business tellement énorme qu’il a infiltré notre gouvernement. L’industrie induit en erreur le public et les responsables politiques sur les causes du changement climatique comme l’ont fait les fabricants de cigarettes: ils savaient que fumer provoque le cancer, mais ils ont embauché des scientifiques pour affirmer le contraire ». 550…450…350…les jeux sont faits, rien ne va plus, nous n’avons plus le temps d’attendre qu’il soit trop tard.
P.S. : A Genève, un professeur à la Faculté de médecine de l’Université, le Dr Ragnar Rylander, a secrètement collaboré pendant trente ans avec la firme Philip Morris avant d’être dénoncé le 29 mars 2001 par le Centre d’information et de prévention du tabagisme de Genève. Il n’a pas fallu moins de deux ans et demi de procédure avant que le Tribunal Fédéral ne donne raison à Jean-Charles Rielle et Pascal Diethelm accusés de diffamation par le Dr Ragnar Rylander. Le 29 0ctobre 2004, le Rectorat dénonçait les études épidémiologiques concernant la fumée passive conduites par le prof. Rylander qui répondaient à des initiatives de l’industrie du tabac qui attendait de ces études qu’elles étayent un message sceptique sur les effets de la fumée passive selon une logique stratégique définie par elle.
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