Il en a déjà vu des postes et des contrées, Claude Heimo. Cet ingénieur forestier gruérien a sillonné pendant trois décennies (pour la FAO, la Banque mondiale) l’Asie de l’Est et du Sud-Est (Chine en particulier), et l’Afrique. Aujourd’hui, à l’âge où les papys songent plutôt à cultiver des carottes dans leur jardin, le voilà qui rempile et reprend le large. Claude Heimo conseillera le gouvernement du Vietnam en matière de développement et environnement. Un contrat de trois ans financé par la coopération néerlandaise.
Pourquoi ce nouveau départ? N’avez-vous pas déjà assez donné?
J’ai passé plus de 20 ans à travailler pour le compte de la Banque mondiale et autres organisations de développement. Il est vrai que j’en ai tiré une expérience considérable que j’aimerais encore mettre à profit pour améliorer la situation des populations les plus déshéritées et lutter pour la conservation des forêts et leur biodiversité. Par contre, les sept ans que je viens de passer en Suisse à tenter de convaincre les institutions de développement de mieux utiliser les technologies de l’information spatiale pour rendre plus efficaces les politiques de développement et de conservation des écosystèmes naturels n’ont pas vraiment été concluants, malgré les bénéfices évidents qui en découlent.
Lors d’un tout récent voyage au Vietnam pour étudier les moyens de lutte contre la déforestation causée par l’agriculture itinérante, je me suis rendu compte que peu de choses avaient changé depuis mon premier séjour à Madagascar en 1969. Je me pose donc la question de savoir si tous les beaux rapports et publications qui ont été écrits depuis cette date n’ont pas surtout profité à ceux qui les ont écrits ou qui les écrivent encore. Aujourd’hui l’expert du développement et de la conservation de l’environnement que je suis ressent comme une frustration. D’où ma décision de continuer à œuvrer à la mise en place de meilleures politiques forestières.
En quoi consistera votre mission?
Je rejoins un réseau d’experts vietnamiens et néerlandais dont l’objectif est double. Il s’agira d’abord d’étudier comment améliorer les conditions de vie des paysans vietnamiens vivant à l’intérieur du pays et les faire participer à la conservation des terres et des ressources naturelles. Cet objectif est essentiel car le Vietnam, qui sort d’une expérience collectiviste, a mis à l’ordre du jour la décentralisation de la gestion des terres forestières ayant appartenu à l’Etat. Mon premier rôle sera donc de conseiller les provinces et les populations rurales en transition vers une économie de marché. Ceci au moment où l’adaptation aux changements climatiques prend tout son sens. De plus, conserver les forêts passe aussi par une meilleure valorisation des productions forestières. Ce qui nécessite des accords de coopération avec les compagnies privées telles que des grandes surfaces vendant des meubles ou les sociétés pharmaceutiques.
Une autre attribution sera ensuite d’aider à mettre en place les politiques forestières susceptibles de mieux utiliser les principes et mécanismes d’investissement décidés dans le cadre des grandes conventions environnementales, notamment ceux relatifs à la Convention sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto. Je considère cette activité comme une suite logique à ce que j’avais entrepris depuis la Chine avec le soutien de la FAO et du gouvernement japonais de 1998 à 2001.
Décelez-vous une véritable volonté de parvenir à ces objectifs?
La volonté de se prendre en main dans certains pays d’Asie est réelle. Il y a l’effet du dynamisme chinois dont profitent les régions voisines, le Vietnam en particulier.
D’autres Suisses sont-ils aussi engagés dans la région?
Certainement. La Suisse est engagée dans cette région du monde depuis fort longtemps. J’ai rencontré plusieurs «experts» suisses qui sont rentrés du Vietnam très enthousiasmés par leur expérience. Je sais aussi que la Suisse attache une importance considérable au développement des pays de la région du Mékong dont le Vietnam. Bien que Berne n’ait joué aucun rôle dans mon recrutement, j’entends à la fois mettre en valeur cette expérience et œuvrer à une meilleure coordination entre bailleurs de fonds, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux.
Où serez-vous basé?
A Hué, capitale historique du Vietnam pour ce qui concerne les activités à mener avec les populations rurales. Et à Hanoi pour toutes les questions de politiques forestières et de coordination.
Participer à la décollectivisation des terres et la conservation des forêts dans un tel pays ne sera pas un jeu d’enfant, j’imagine.
Certainement pas dans un pays dont les forêts ont été dévastées tant par les effets directs et collatéraux de la guerre que par l’agriculture itinérante. En me promenant, la semaine dernière, le long de la piste Hô Chi Minh, j’avais sans cesse en tête les images du film «Apocalypse Now». Le calme est revenu maintenant mais les effets de la guerre se font encore sentir, notamment dans les zones encore contaminées par l’agent orange (dioxine). En plus, la mauvaise gestion des compagnies forestières d’Etat n’a certainement pas aidé à la conservation des forêts naturelles. Heureusement, ces compagnies ont toutes disparu ou sont en voie de réorganisation aujourd’hui.
Mais le problème demeure surtout dans les zones de culture itinérante ou les minorités culturelles ont perdu, pendant la guerre, beaucoup de leurs droits traditionnels sur les forêts. Dans ces régions, on fait face à un problème qui s’apparente à la disparition des biens communaux chez nous à la sortie du Moyen Age. C’est donc en travaillant sur ces problèmes fonciers, tout autant qu’en s’attaquant à la pauvreté et la sécurité alimentaire, que l’on arrivera à conserver et valoriser les forêts vietnamiennes.
Cela dit, le paysan vietnamien est remarquable, il a fait de son pays, en quelques années, l’un des plus grands exportateurs de riz au monde. Il y a donc de l’espoir. Beaucoup d’espoir.
Interview parue dans “La Liberté” du 4 septembre 2008