Une lettre de Bernard Walter, ancien rédacteur responsable du Monde du travail
Je soumets mon histoire à infoendanger parce qu’elle soulève à mon sens d’importantes questions de principe.
Voici de quoi il s’agit.
J’ai été rédacteur responsable du Monde du travail, journal du Mouvement populaire des familles (Mpf), d’avril 2006 à février 2008.
Suite à une divergence à répétition, et me trouvant minorisé dans le groupe de rédaction du journal, j’ai quitté celui-ci. En quelques lignes, à la suite de mon dernier article datant du mois de mars 2008, j’ai expliqué les raisons de mon départ.
Voici ce que j’avais écrit:
«Suite à un désaccord durable au sein de la rédaction du Monde du travail concernant une critique très ciblée et répétée du régime chinois et de ses pratiques des droits humains, dont on peut voir la teneur dans le numéro de janvier dernier, et défendant un point de vue minoritaire, j’ai le regret de quitter le journal. Je souhaite bonne route à toute l’équipe de rédaction.»
Ces lignes ont été supprimées sans que j’en sois avisé.
C’était donc une explication très simple, sans aucun caractère polémique. Dans le numéro de janvier, deux articles contradictoires avaient été publiés côte à côte sur ce qui constituait pour moi l’essentiel du problème, je n’avais donc pas besoin d’y revenir dans l’information que je donnais sur mon départ.
D’ailleurs le fait que ces deux articles aient été publiés, donnant la position de chacun, était pour moi satisfaisant, et j’estimais que les choses étaient ainsi transparentes. C’était sans compter sur l’obstination d’un des membres de la rédaction qui est revenu avec ce sujet en février. Et nous voilà repartis dans une discussion sans fin, où je me trouvais seul de mon point de vue.
Pourquoi serions-nous forcés de nous comprendre? Si je me sens devant un mur, et que pour moi, il s’agit de questions essentielles, je n’ai qu’à m’en aller. C’est ce que j’ai fait.
Mais si je m’en vais, comme pour toute personne qui quitte une organisation, je veux bien entendu que les gens appartenant à cette organisation connaissent mes raisons. A plus forte raison si je suis le rédacteur responsable d’un journal.
C’est une question d’honneur. Je suis un homme de conviction, et je ne quitte pas comme ça, sans autres, un journal, surtout si celui-ci s’engage pour une société différente.
Je dois mentionner ici un élément important de mon désaccord.
La dénonciation des atteintes aux droits de l’homme par un membre de la rédaction tirait ses sources des publications du Falun gong. (C’était en novembre 2007). Après quelques recherches, je suis parvenu à la conclusion que ce mouvement n’est autre qu’une secte travaillant d’ailleurs main dans le main avec le gouvernement des USA.
J’avais demandé que au moins on retire de l’article la référence à un représentant au Congrès américain de l’ultradroite, un certain Rohrabacher, lequel, fervent partisan des guerres en Irak et Afghanistan, qualifie l’Etat chinois d’Etat criminel. L’argument que j’ai toujours défendu est que les puissances occidentales qui violent les principes élémentaires du droit international n’ont de leçon à donner à personne. (Cf Jean Ziegler «La haine de l’Occident»p.13: «Compte tenu des crimes présents et passés commis par l’Occident, elle [Sarala Fernando, ambassadrice de Sri Lanka auprès de l’ONU] tient pour parfaitement indécent l’invocation des droits de l’homme par un ambassadeur occidental – en quelque circonstance que ce soit. [Beaucoup] de ses collègues pensent exactement comme elle.»)
Ceci m’a été refusé, ce Rohrabacher est resté dans l’article, ce qui est pour moi une vilaine tache dans le journal, dont j’étais «rédacteur responsable».
On m’a reproché, en la circonstance de vouloir pratiquer la censure. On m’a reproché en outre d’aller vérifier par derrière ce qu’un collègue écrivait.
J’ai exprimé mon point de vue de façon argumentée à plusieurs reprises auprès de la rédaction du journal et au comité romand du Mpf. Les seuls arguments que j’ai obtenus en retour ont été le fait du secrétaire du mouvement. Ils sont au nombre de trois.
1.Je suis un peu atterré que tu mélanges tout.
2.Je ne ferai pas de commentaires, cela vaut mieux.
3.Tu ne comprends pas tant pis. Mais c’est mieux pour toi.
Et voilà. L’information a été donnée aux lecteurs dans le numéro de mai: «Bernard Walter a pris la décision de quitter le journal.» Avec plein de gentilles choses en plus, du style «nous avons apprécié son apport de qualité» «nous le remercions sincèrement pour cette collaboration trop courte».
Donc le rédacteur responsable est parti. Comme ça. Sans même se donner la peine de donner une explication.
Je peux imaginer la réaction du lecteur: «On croyait que ce type était sérieux» «Il a fait quoi?» «C’est un peu léger, se tirer comme ça sans raison.» Que ce soit une atteinte à ma personne est une chose. Mais en plus, ça ne fait pas de bien au mouvement.
Personne dans le mouvement n’a réagi. Aucun d’entre eux, tous des gens porteurs de bonnes intentions, n’a de quoi être fier.
Pour faire bref, le journal a refusé totalement de publier les quelques lignes où je m’expliquais sur mon départ malgré mes demandes répétées au nom de la déontologie la plus élémentaire. «Je pense que les principes de base de la déontologie du journalisme vous y obligent» ai-je écrit. Le secrétaire du mouvement m’a finalement assuré qu’il s’en remettrait à la décision finale du comité qui devait se tenir en juin et que j’en serais informé par courrier électronique. Je n’ai jamais rien reçu.
Voilà. Je ne fais pas de tout cela une question de personne.
Ce que je trouve grave, c’est bien sûr l’atteinte aux principes d’une information correcte et à la pratique d’un fonctionnement démocratique qu’une telle façon de procéder suppose.
Mais ce qui m’a le plus gêné dans cette histoire, c’est que justement cela s’est passé là où ça ne doit pas se passer. Parce que le Mpf est un mouvement d’une entière indépendance politique, financière et économique. Et que donc son luxe est d’être libre, son luxe est de pouvoir s’exprimer, sans avoir à en référer à de quelconques instances extérieures. Et parce que c’est un mouvement engagé pour une société différente.
Le fait que des personnes censées être éclairées et se pensant telles puissent pratiquer de cette manière la loi du silence et la peur d’un vrai débat, comme les poules cachent leur tête sous l’aile, c’est quelque chose qui m’a beaucoup étonné et m’a laissé dans une grande perplexité.
Bernard Walter, Le Sentier
Réponse à Bernard Walter, par Jean Blanchard, secrétaire général du MPF
La démission de Bernard Walter de son poste de rédacteur responsable du Monde du travail, le journal du Mouvement populaire des familles (MPF), a pour origine une divergence sur la dénonciation des violations des droits de l’homme en Chine. Le Monde du travail n’étant pas un organe dogmatique, il a tout de même pu exprimer sa position sur le sujet dans un article paru en janvier 2008 (pages 6 et 7) en parallèle à l’opinion majoritaire du comité de rédaction.
C’est par la suite que Bernard Walter a décidé de quitter ses fonctions au journal et a aussi démissionné du comité romand du MPF. Dès lors, il n’a plus participé aux instances du mouvement quand bien même la séance suivante du comité romand a pris connaissance de sa lettre de démission et faisait donc office d’instance de recours. De même, il aurait pu saisir le congrès du mouvement des 24 et 25 mai 2008 où il était invité comme tout membre du MPF et où les motifs de sa démission ont été communiqués aux participants.
En revanche, la publication de ces motifs dans le journal a été clairement refusée, tant par le Comité de rédaction que par le Comité romand du MPF, pour la raison essentielle que le journal n’est pas un bulletin interne du mouvement mais un vrai journal et que, pour cette raison, les causes de nomination et de départ du rédacteur responsable ou les changements au sein du comité de rédaction n’ont jamais fait l’objet de publication. Ces éléments sont discutés dans les instances du mouvement.
Pour le MPF, cette affaire est close.
Pour le comité de rédaction et le Comité romand du MPF
Jean Blanchard
Secrétaire général du MPF
3 réponses à “Il veut expliquer les raisons de son départ aux lecteurs. Le journal refuse”
René Langel dit :
5 novembre 2009 at 18:54 m
Étonnant que le rédacteur responsable d’un journal ignore à la fois les dispositions qui définissent ses fonctions (responsable du contenu rédactionnel donc maître de la matière) et les possibilités du droit de réponse que lui offre le Code civil. Sans doute. Sans doute n’est-il pas journaliste professionnel…
Bernard Walter dit :
6 novembre 2009 at 16:00 m
……
Bernard Walter dit :
6 novembre 2009 at 16:13 m
Ma réponse:
Je vous remercie, Monsieur, de votre remarque.
Je ne suis en effet pas journaliste professionnel.
Mais je n’ai pas manqué de consulter quelques professionnels hautement qualifiés, et aucun d’entre eux ne m’a indiqué qu’un droit de réponse figurait effectivement quelque part comme règle – à mon étonnement d’ailleurs.
Quoi qu’il en soit, il me paraissait évidemment naturel que je puisse m’expliquer, et j’ai beaucoup insisté pour que mon point de vue passe dans le journal. En vain. J’ai trouvé l’attitude du comité et de la rédaction du Mouvement populaire des familles infantile et incompréhensible. Alors que par ailleurs j’ai toujours été dans les meilleurs termes avec eux.