La Russie et l’Ukraine ont rouvert les vannes de leurs gazoducs le 20 janvier 2009, mettant fin à trois semaines d’un conflit qui a eu des conséquences sur l’approvisionnement de plusieurs pays de l’UE.
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Mais la hache de guerre est-elle définitivement enterrée pour autant? Rien n’est moins sûr. A terme, le conflit pourrait même s’étendre à l’Union européenne. Soucieux de diversifier ses sources d’approvisionnement, Bruxelles parraine le projet Nabucco qui vise à acheminer le gaz de l’Azerbaïdjan et de l’Iran vers Vienne. Encore dans les limbes, ce gazoduc, s’il devait voir le jour, éviterait l’Ukraine tout en torpillant un projet concurrent russo-italien baptisé South Stream, pendant septentrional du gazoduc Nord Stream construit par la Russie avec la participation de l’Allemagne, cette fois.
René Bantz, vous êtes le directeur général de Gaznat à Vevey. En toile de fond du conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine, il y a la guerre des gazoducs. Nabucco contre South Stream. Où en est le projet Nabucco?
René Bantz: Il a du retard. Alors qu’il était prévu pour 2010, la décision de construire n’a même pas été prise. La Turquie semble jouer un subtil jeu politique. En effet, le gazoduc doit passer par ce pays, d’où des pressions qui s’exercent sur l’Union européenne. Chacun sait que la Turquie est candidate à l’adhésion à l’UE.
Les Etats-Unis ne soutiennent pas Nabucco?
Pas directement en tant qu’acteur du projet. Mais il est clair que Washington joue un certain rôle dans la mesure où l’enjeu est de vendre du gaz de la mer Caspienne par la Turquie pour contrer le projet South Stream. L’idée avec Nabucco est de réduire la dépendance de l’Europe aux importations provenant de la Russie et de l’Ukraine. Actuellement 80% du gaz russe destiné à l’Europe passe par l’Ukraine.
Dans le jeu gazier, la Hongrie est un pivot. Après avoir soutenu Nabucco, Budapest semble opter pour South Stream. Vous confirmez?
La Hongrie semble hésiter à se rallier à South Stream, un projet auquel participe également l’ENI, l’organisme étatique italien. South Stream deviendrait ainsi une création russo-italo-hongroise. Le renforcement de ce partenariat pourrait mettre nettement Nabucco en difficulté, d’autant plus que le tracé de ce projet traversant beaucoup de pays est complexe. Ses chances de succès dépendent désormais de la volonté européenne, elle-même conditionnée par le facteur turc. Les choses ne sont pas simples.
La Suisse, dans tout ça?
L’industrie gazière suisse n’est pas directement intéressée par ces projets de gazoducs. Les voyages de Mme Calmy-Rey en Iran et de M. Couchepin en Azerbaïdjan s’inscrivent certes dans la volonté helvétique de diversifier encore plus ses sources s’approvisionnement mais il faut être réaliste et considérer aussi les problèmes liés aux pays producteurs et au transport du gaz. La Suisse est en fait assez bien positionnée au milieu de plusieurs axes de transit Nord-Sud. Trois corridors alimentent déjà l’Arc alpin: le corridor du nord provenant de la mer du Nord et des Pays-Bas via l’Allemagne et la France (70% du gaz importé), le corridor de l’est provenant de la Russie via la Pologne ou l’Ukraine (20%) et le corridor du sud où aboutit le gaz algérien (10%). La France a d’ailleurs décidé de renforcer l’artère du Rhône suite à l’extension du port méthanier de Fos, prévue d’ici à l’année prochaine.
Quel est l’état des réserves de gaz dans le monde?
Malgré la forte croissance de la consommation de gaz naturel, il y a des réserves pour les soixante prochaines années. Et je parle des réserves prouvées. L’espoir d’en trouver d’autres reste grand, ne serait-ce qu’en Suisse, dans le Léman notamment où nous allons démarrer les recherches dans le courant de l’année 2009.
Vous croyez vraiment à l’existence de gaz dans le Léman?
Les géologues y croient, en tout cas. Gaznat et son partenaire Holdigaz investissent tout de même quelque 10 millions dans ce projet. Ils ne le feraient pas s’ils n’avaient pas de bonnes raisons de le faire.
Quelle est la part du gaz naturel dans la consommation finale d’énergie en Suisse?
Elle est de 12%. Celle du pétrole s’élève à 55% et celle de l’électricité à 24%. Le solde vient du charbon, du bois, du chauffage à distance et des énergies alternatives.
Article paru dans « La Liberté » du 23 janvier 2009