La Suisse victime de son “capitalisme organisé” ou quand la globalisation “soviétise” le monde


1989 – 2009 : 20 ans déjà que le mur de Berlin est tombé et que l’Union soviétique a cessé d’exister de fait en tant que superpuissance (retraite d’Afghanistan) et modèle concurrent du capitalisme. 20 ans déjà de capitalisme sans concurrence des systèmes et sans masque!

20 ans de néolibéralisme triomphant érigeant l’avidité, la mégalomanie et l’égoïsme en lois universelles ! Le résultat de cette « dictature du rendement financier » est probant : la pire crise mondiale depuis la grande dépression des années 1930 et un monde dans une situation plus désastreuse et révoltante que jamais!

Reverra-t-on des manifestations de masse, comme en automne 1989 et pour des raisons presque identiques (faillite systémique et enfermement dans un matérialisme totalitaire) !? Entendra-t-on à nouveau scander « Nous sommes le peuple !» ? Non plus à Berlin Est cette fois-ci, mais bien chez nous et ailleurs en « Occident »?

Face à la crise, la Suisse est confrontée au double défi des inerties de son régime de « capitalisme organisé » et des effets pervers de la globalisation. Celle-ci a doublé depuis 1995 le nombre de pays intégrés au commerce mondial. Cette nouvelle concurrence résulte en de fortes pressions économiques et sociales dans les pays développés surtout. Elle intensifie les difficultés de notre système consensuel de gestion de l’économie et de la politique. La population suisse semble aujourd’hui victime autant de la globalisation que de comportements qui ont fait le succès de la Suisse par le passé.

Le fonctionnement actuel de nos institutions, en particulier la procédure de consultation, s’est cristallisé dans les années 1930 face à la grande dépression et la menace de guerre. Les articles sur la politique agricole (1932) et sur l’économie de guerre (1939) sont des étapes marquantes de cette cristallisation. Dès 1937 – l’année aussi de l’accord sur la paix du travail – un dispositif informel d’économie de guerre associe les représentants de l’économie et leurs organisations faîtières à la législation économique. Il s’ensuit une collaboration étroite du gouvernement et de l’administration avec les milieux économiques, sans que ceux-ci perdent un pouce de leur liberté d’action. Cette collaboration fût probablement une réponse en adéquation avec son époque. Mais inspirée des idées corporatistes du fascisme italien, elle finit alors par pousser le pays aux limites de l’état de droit. (1)

Par la suite, la consultation d’organisations concernées était la règle dans tous les domaines législatifs. Cet usage a trouvé sa base constitutionnelle avec la révision de 1999 (art 147). De plus, le système de milice des chambres fédérales permet aux représentants des groupes d’intérêts de siéger directement dans les diverses commissions. Ainsi, le parlement fédéral endosse pour l’essentiel les lois et réglementations issues de la collaboration entre l’administration et les groupes d’intérêts. L’importance de ces deux acteurs a grandi par leur simple interaction. La convergence d’une surreprésentation d’intérêts particuliers aussi au parlement et de l’inertie des bureaucraties concernées ralentie et complique tout réel changement.

Notre système référendaire avec un droit d’initiative contrebalance ces pouvoirs concertés des «centres». Mais trop facilement sujet à la manipulation des opinions, il n’a pu empêcher l’augmentation des dépendances et des injustices sociales.

La fonction première de notre démocratie semble bien de créer et de maintenir de l’ordre, plutôt que des espaces de libertés, comme l’a observé Peter Bichsel.

La globalisation a produit une uniformisation marquée de la pensée, des méthodes et des modes de vie. Cette uniformisation sous-tend les changements structurels visés, mais ses effets réels contredisent ses justifications idéologiques de développement durable et de liberté.

Les objectifs autant que les risques de la globalisation ont crée un besoin accru de maîtrise et de contrôle dans l’entreprise et dans l’état, aussi sur la vie privée de l’employé et du citoyen. Les mailles administratives et de management se sont fortement resserrées. Ce au point d’inhiber la portée des valeurs éthiques et du long terme, les énergies créatives et la responsabilité individuelle. Dans ce nouvel environnement, les rapports de pouvoir priment sur ceux de la confiance. Il engendre de nouvelles oppressions et inégalités des chances.

Ce besoin de maîtrise et de contrôle se sont traduits par une forte concentration et la bureaucratisation des pouvoirs et par une surveillance de plus en plus étroite des « ressources humaines », quitte à recourir à l’espionnage informatique, des évaluations récurrentes ou par des tiers à l’insu des concernés etc. Cette volonté accrue de contrôle, l’uniformisation de la pensée et du mode de vie, la centralisation et bureaucratisation des pouvoirs constituent en fait une «soviétisation» rampante de l’Occident. Les progrès informatiques, combinés à la fin de la concurrence des systèmes, permettent aux « centres » de la mettre en œuvre avec facilité et sans réelle résistance de la société civile. Celle-ci doit se préoccuper d’abord d’élever ses enfants, devenus à nouveau une cause de pauvreté dans un pays qui abrite tant de richesses !

Depuis 20 ans, les salaires réels moyens suisses ont stagné face à d’importants gains de productivité et des rendements du capital et de profits d’entreprises qui volaient de records en records. La quote-part des salaires du revenu national brut à baissé entre 1992 et 2005 de 60.5 % à 55.2 % ! (2)

Le néo-libéralisme a également prôné la soumission de l’entreprise au profit immédiat des actionnaires. Il a culminé avec la bourse et les abus de titrisation et de produits financiers dans des excès historiques d’avidité et d’avarice ! Les clivages économiques et sociaux en Suisse et dans le monde se sont creusés entre classes et régions. L’appauvrissement de la classe moyenne – garante de toute démocratie – et le nombre de « working poors » en témoignent. De plus, l’écart entre les gros salaires et grosses fortunes et le salaire moyen grandit depuis 20 ans et atteint des sommets porteurs de conflit sociaux et de violence. Les études de l’institut Latsis de l’EPFL montrent que c’est toujours un écart excessif entre pauvres et riches qui provoque la violence sociale, indépendamment du niveau de vie en soi. (3)

Les réformes structurelles et restructurations d’entreprises depuis 10-15 ans ont produit des effets pervers et de nouveaux carcans pour les citoyens. A témoin les assurances obligatoires, les surveillances vidéo et informatiques, l’école alourdie de réformes, les salaires au « mérite » (donc à la tête du client) etc. Ces exemples montrent que notre environnement est devenu plus bureaucratique, procédurier et autoritaire. L’adhésion du citoyen, réduit au rang de consommateur assisté et désinformé, des employés ou cadres, dévalués en « ressource humaine », a été contrainte à défaut de forcée.

La crise mondiale actuelle – dont la seule issue certaine est son coût financier et social énorme – offre une chance de réformes en profondeur, voire celle d’une refonte radicale de notre organisation sociale et économique. Il est certain que le rôle du citoyen et du « facteur travail » s’en trouve renforcé et revalorisé à juste titre, tout comme celui de l’Etat. Mais il doit redevenir un garant du bien général au lieu d’un simple exécuteur ou même complice des intérêts économiques et financiers.

La meilleure voie pourrait bien être le recentrage sur les valeurs authentiques de la démocratie, mais surtout sur celles de la spiritualité et de l’amour universel comme étalon et base éthique de notre société. La vraie démocratie n’exige en rien un régime d’économie capitaliste pour un bon fonctionnement. L’erreur consiste souvent, pour le malheur de la démocratie, de penser qu’une société démocratique exige une économie capitaliste ou libérale… Et pourquoi pas une base économique coopérative et participative, répondant aux vrais besoins au détriment de la création de besoins artificiels et de produits à « cycles » délibérément « courts » (camelote et gadgets) !?

Un environnement gouverné par de telles valeurs n’a aucun besoin de contrôles obsessionnels, de lois sur le racisme ou de nouvelles institutions et règlements de surveillance du système financier. L’honnêteté et le bon sens, tout comme l’amour et le respect de la vie, bannissent naturellement l’avidité systémique et des distorsions telles que l’intolérance ou la violence. En revanche, l’omniprésence d’autorités bureaucratiques et la prétention à la maîtrise de la vie de chacun sont le propre de l’enfermement totalitaire. La globalisation a renforcé cette tendance à l’enfermement déjà inhérente à notre « capitalisme organisé », mais de façon bien plus subtile que dans la «bonne vieille URSS».

1) Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses, Payot, 1982
2) UNIA, 2008
3) Le Temps, 13.02.2009

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