Suisse-UE: les paysans brandissent déjà la fourche

Adopté par le Conseil fédéral le 14 mars 2008, le mandat est clair, il demande aux négociateurs suisses de conclure avec l’Union européenne un accord de libre-échange “exhaustif”. Comprenez: un accord portant sur tous les maillons de la chaîne de production agroalimentaire. Concrètement, tous les droits de douane, contingents, subventions à l’exportation et obstacles non tarifaires au commerce doivent être supprimés entre la Suisse et l’Union européenne.

Le projet plaît beaucoup au patronat. “L’industrie agroalimentaire suisse pourra profiter de l’amélioration des possibilités d’exportation. L’ensemble du secteur agricole sera plus efficace et plus compétitif au niveau international. L’impulsion ainsi donnée à la croissance est estimée à 2 milliards de francs environ”, estime l’organisation professionnelle economiesuisse dans l’un de ses “dossiers politiques”, daté du 30 mars 2009.

Mais les milieux paysans sont beaucoup moins enthousiastes. En juillet dernier à Genève, les Etats membres de l’Organisation mondiale du commerce n’étaient pas parvenus à s’entendre sur le dossier agricole, l’Inde, d’un côté, les Etats-Unis de l’autre, s’accusant mutuellement de protectionnisme. L’agriculture suisse avait senti le vent du boulet: une réduction des droits de douane de 70% aurait signifié pour elle le sacrifice de la moitié des exploitations agricoles. Autant dire qu’elle n’avait pas pleuré l’échec de Genève.

Aujourd’hui la perspective de revivre le psychodrame de 2008 attise la méfiance paysanne face à un traité bilatéral avec l’UE . “L’Union suisse des paysans en a analysé l’impact: elle perdrait la moitié de son revenu”, insiste Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans (USP).

La grande industrie tenterait-elle de regagner sur le plan bilatéral avec l’UE le terrain perdu à l’OMC? economiesuisse ne le cache pas: “Un accord de libre-échange dans le secteur agroalimentaire avec l’UE aplanirait les difficultés. Malgré le fait que les négociations de l’OMC s’éternisent, il apparaît que les Etats industrialisés doivent faire des concessions importantes dans le secteur agricole. La pression internationale pour une plus grande ouverture des marchés agricoles devrait s’intensifier. C’est la raison pour laquelle la Suisse devrait se préparer de manière proactive et offensive à cette perspective.”

Le patronat a le soutien de Doris Leuthard. En novembre dernier, la cheffe de l’Economie a lancé les négociations avec l’UE au cours d’une rencontre avec sa collègue européenne Mariann Fischer Boel. “Les négociations menées dans le cadre de l’OMC avancent au ralenti mais il y a toujours une volonté très large de poursuivre une politique d’ouverture des frontières. Avec l’Union européenne, nous nous trouvons actuellement dans la phase de déblayage du terrain, les choses progressent normalement”, résume Jacques Chavaz, le responsable du dossier à l’Office fédéral de l’agriculture.

Reste que les négociations entre la Suisse et l’UE n’ont pas de chance d’aboutir avant la fin 2010. Beaucoup d’eau risque de couler sous les ponts d’ici-là, ce qui conduit l’USP à miser sur l’attentisme. “L’OMC est en rade. On ne sait pas si l’administration Obama, qui se déclare sensible aux arguments sociaux et environnementaux, compte la relancer. Si l’OMC repart, nous sommes prêts à nous repositionner. Pour l’instant, ce n’est pas le cas”, poursuit Jacques Bourgeois.

Le directeur de l’USP tient malgré tout à une approche relativement pragmatique. Il concède qu’un accord de libre-échange avec l’UE pourrait présenter de l’intérêt pour certains produits tels que les produits laitiers ou la viande. Mais sa tolérance ne pas au-delà. Pas question d’écorner la souveraineté alimentaire de la Suisse, un pays dont la topographie limite l’extension des zones rurales. Le message du Conseil fédéral prévoit des mesures d’accompagnement à hauteur de plusieurs milliards de francs destinées à atténuer les effets de la transition. economiesuisse freine des quatre fers, la bataille fait rage au sein des commissions. Des tranchées se creusent. A quand le déclenchement officiel des hostilités?

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