Dernières cartouches à Pompéi-sur-Wall Street *


C’est le quotidien américain “International Herald Tribune” qui lève le lièvre dans son édition du 20 mai 2009. BlackRock, une société privée de gestion de fortune, pourrait se trouver au centre d’une affaire de conflit d’intérêts depuis qu’elle administre des fonds du gouvernement des Etats-Unis. Cette maison a participé au sauvetage des groupes Bear Stearns, AIG, Citigroup, Fannie Mae et Freddie Mac. Elle conseille la Réserve fédérale et son fondateur, Laurence Fink, a une ligne directe avec le Trésor, voire le président en personne. D’où l’inquiétude de certains membres du Congrès américain. Le gestionnaire de fonds, se demandent-ils, pourrait-il s’enrichir sur le dos des contribuables en exploitant à son profit des informations privilégiées liées aux subventions étatiques?

L’histoire ne dit pas si BlackRock a proposé ses services à Kaspar Villiger. Le président d’UBS a le regard tourné vers les fonds souverains qui broient du noir après avoir brûlé 46 milliards de dollars dans la crise financière. Dégoûté, le singapourien Temasek s’est débarrassé de sa participation dans la Bank of America pour mettre ses billes dans les pays émergents et l’on est en droit de s’interroger sur les intentions du GIC, un fonds “cousin” géré par la ville-Etat, qui a placé 10 milliards dans UBS.

Le risque est de retour

A en croire le journal économique italien “Il Sole 24 Ore” (17 mai 2009), le GIC n’aurait pas l’intention de se délester de ses actions dans la banque helvétique. On est content pour M. Villiger mais cette relative stabilité de l’actionnariat ne suffit pas à rassurer sur le sort de l’UBS. Ni sur la capacité de discernement de l’autorité monétaire. Prenant prétexte de l’embellie passagère de la Bourse, les banques rouvrent leurs terrasses et hument le parfum des placements à risques. Elles vont même jusqu’à proposer de grasses rémunérations à leurs cadres qui exercent du chantage à l’emploi. Oubliés, les grands voeux de prudence du Nouvel-An! Au rancart, la belle gouvernance! On reprend les mêmes et on recommence comme avant.

Comme si les forces à l’oeuvre sous Greenspan ne pourraient pas sévir aujourd’hui sous Bernanke, met en garde l’économiste genevois Michel Santi (www.gestionsuisse.com): “la vérité est que les autorités monétaires américaines sont résignées à la formation d’une nouvelle et autre bulle spéculative demain du fait même de leur impuissance. Comme un ogre, la pyramide de Ponzi réclame encore et toujours plus de liquidités et de crédits, faute de quoi c’est l’ensemble du système qui est appelé à s’effondrer”.

La vertu et l’argent

Le krach des derniers mois ne serait-il qu’un aimable apéritif en regard de ce qui nous attend? Et si le capitalisme ne tirait pas tout simplement ses dernières cartouches? Le capitalisme n’a plus d’avenir, non pas en raison de son amoralité fondamentale – il est vain de tenter de concilier l’éthique et les affaires, la vertu n’a jamais fait gagner de l’argent, soutient le philosophe André Comte-Sponville (1) – mais tout simplement parce qu’il a perdu toute conscience d’une collectivité structurée. Or pour tourner, la planète a besoin d’un minimum de repères.

Pompéi-sur-Wall Street. Le monde de la finance ne devrait-il pas relire ses classiques, Marx, Proudhon, mais aussi adapter ses connaissances et surtout réfléchir? A quoi sert l’économie, par exemple? “Notre système actuel est fondé sur l’équilibre de la bicyclette: cet équilibre ne se trouve que dans le mouvement, dans la croissance de la consommation, notamment d’énergie et de ressources naturelles, en contradiction flagrante avec la finitude de la biosphère”, observe Pierre Calame, le directeur de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (2). Et de démontrer que l’économie doit revenir à son sens étymologique, “oïkos”, le foyer , la maison commune, et “nomos”, la loi. “Parce que la gouvernance ne peut se soustraire à la question des valeurs”.

(1)“Le capitalisme est-il moral?”, par André Comte-Sponville, Albin Michel, 2009
(2)“Essai sur l’Oeconomie”, par Pierre Calame, Editions Charles Léopold Mayer, 2009

*Article publié dans “La Liberté” du 23 mai 2009

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Un commentaire à “Dernières cartouches à Pompéi-sur-Wall Street *”

  1. Jean-Yves Piffard 25 mai 2009 at 12:28 #

    J’ai commencé à découvrir votre site. Dans ce monde ou tout se densifie, s’accélère, j’avoue que je décroche et que je redeviens une sorte “d’Alexandre le bienheureux” comme le jouais si bien Philippe Noiret. Je ne regarde pas la télévision, j’écoute de temps en temps les infos sur la RSR, mais de plus en plus elle me désole par la pauvreté des propos sur ce monde. Tout cela n’est qu’une facette, une vision souvent étroite et, d’après ce que j’ai pu lire dans votre site, vous êtes de ceux qui élargissent le regard pour voir différemment ce qui nous entoure. En dehors des infos la RSR joue formidablement bien ce rôle d’ouverture et j’écoute souvent avec plaisir les émissions qu’elle diffuse dont “Histoire vivante”.

    L’évolution de l’humanité, passe par une prise de conscience universelle. La justesse des mots et l’amour sont l’énergie de cette évolution.

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