La tempête qui a soufflé sur les bourses et les matières premières depuis 2008 est seulement le dernier exemple en date d’une de ces irruptions récurrentes d’irrationalité dans les marchés financiers ou dans l’économie.
L’histoire des grandes crises et euphories des marchés financiers, tout particulièrement celle des bourses depuis le 17ème siècle, peut se résumer pleinement dans le jugement exprimé dans les années 1930 par John Maynard Keynes sur Wall Street: «l’avidité et la peur déterminent le prix des actions» .
Le fonctionnement de tout marché libre est supposé être rationnel; cet axiome sous-tend la théorie financière classique. Pourtant, l’on observe à intervalles réguliers des phases de «manies d’achat» ou d’illusion et de bulles spéculatives, qui sont suivies de phases de «paniques de vente» ou de désillusion. Les investisseurs «nasdaqués» entre 1999 et 2002 ne contrediront pas plus cette observation que ceux ruinés dans les années 1929 – 33 ou lors d’autres paniques d’achat et de vente (l’or en 1978 – 80, le Japon en 1989 – 91, l’Asie en 1995 – 97, la crise de 2008 – 2009).
La finance comportementale met en effet en évidence depuis les années 1970 déjà le risque constitué par la dimension émotionnelle de l’archétype humain.
Elle a acquis ses lettres de noblesse avec le prix Nobel d’économie en 2002, qui récompensait les travaux de D. Kahneman et de V. L. Smith. Leurs recherches, notamment l’intégration d’une bonne dose de psychologie par Kahneman et la mise au point de méthodes expérimentales par Smith, ont ouvert la voie ces 20 dernières années a la modélisation en laboratoire. De nombreux chercheurs ont appliqué ces nouvelles méthodes aux décisions financières et démontré que les émotions et l’ego sont les premiers risques dans toute décision et surtout celles prises dans des situations d’incertitude, caractéristiques des marchés financiers.
Les principaux «risques comportementaux» qui influent sur toute décision rationnelle et biaisent le jugement de tout investisseur peuvent se résumer en cinq «effets»
1. Effet de pression de groupe (pression psychologique du consensus et de l’environnement).
2. Effet de sur–confiance et de sur–optimisme, dû au sentiment de supériorité (d’où dissonance cognitive: conflit mental qui se produit quand un sujet est confronté aux preuves qui invalident ses convictions; d’où prise de décision émotionnelle au lieu de rationnelle.)
3. Effet de disposition (aversion aux pertes, mais avidité de gain).
4. Effet d’ancrage (données de base mal échantillonnés ou vérifiées et / ou mal interprétées – hypothèses de travail erronées ou tendancieuses).
5. Effet de sélection (interprétation subjective des nouvelles ou événements – recherche de confirmation et déni des signaux de contradiction).
Comment gérer ces risques comportementaux, qui sont autant de nature psychologique que méthodologique? Une réponse en trois temps :
Rappeler à la modestie d’abord. Non pas à la passivité fataliste ou à des méthodes de gestion passives, mais à une attitude réaliste et lucide. Il faut clairement définir les objectifs et les tolérances aux risques et surtout toujours reconnaître ses erreurs et donc prendre ses pertes au plus vite. L’on observe en général 1,7 x plus de prises de bénéfices que de réalisations de pertes dans les portefeuilles – une cause importante de «sous performance» (effet de disposition).
Vient ensuite une discipline intellectuelle et d’exécution rigoureuse. L’investisseur conscient sait qu’il travaille avec des possibles et des probables, non pas des certitudes Il faut accepter aussi le «facteur chance», sachant qu’il ne se matérialise en principe que par un travail rigoureux et suivi. En bourse, encore plus qu’ailleurs, l’orgueil vient (juste) avant la chute!
Finalement, on mettra toutes les chances de son côté en privilégiant la pluridisciplinarité du processus d’investissement de façon à pouvoir chercher l’invalidation en recourant autant aux méthodes de l’analyse financière classique qu’aux apports de l’histoire et de la finance comportementale.
* Consultant financier et historien économique