Quand un livre sur le secret bancaire fait office de défense antiaérienne *


Qui se cache derrière le livre «Comprendre le secret bancaire», signé Serge Guertchakoff et publié aux éditions Slatkine? S’agit-il d’Ivan Pictet en personne, le président de Genève Place Financière et patron de la banque privée Pictet & Cie à Genève? Autre question: la raison d’être de cet ouvrage de 150 pages est-elle liée à la défense bec et ongles d’une institution qui a fait la richesse de la place financière suisse?

C’est en février 2009, en plein krach financier et surtout au lendemain du lâchage de 250 clients américains par Berne, que Michel Slatkine contacte certaines plumes romandes pour travailler sur le livre qui aurait pu s’appeler «Le secret bancaire pour les nuls».

L’idée est d’écrire un ouvrage grand public d’entretiens sur la thématique. Au final, cela donne une série d’interviews avec notamment Jean-Pierre Béguelin, chef économiste de la banque privée genevoise Pictet & Cie, quatre juristes spécialistes de la question – Edouard Cuendet, Paolo Acerbis, Yves Cogne et Alessandro Conelli – ainsi que deux politiciens de renom, l’avocat libéral genevois Michel Halpérin et le socialiste fribourgeois Alain Berset, président du Conseil des Etats. Et c’est Serge Guertchakoff, journaliste libre établi à Genève, qui a été finalement choisi. Mais sait-il qu’il a travaillé pour Ivan Pictet? «Non. A ma connaissance, ce n’est pas Pictet qui a payé l’ouvrage, mais bien Slatkine. C’est d’ailleurs lui qui m’a contacté.» Mais alors pourquoi avoir consacré une grande partie des entretiens à Jean-Pierre Béguelin? «Jean-Pierre Béguelin parle en son nom. Je ne peux pas prétendre qu’on puisse écrire sur un sujet de ce type sans consulter les gens qui le maîtrisent le mieux. Au lecteur de se faire une opinion.»

Chose curieuse, l’ouvrage de Guertchakoff suit le même scénario discuté ce printemps par plusieurs auteurs, dont l’un nous a dit avoir été finalement recalé. Ce dernier avait peur de ne pas maîtriser le contenu du livre. Une version que l’éditeur n’a pas souhaité commenter. Quant à la banque Pictet & Cie, on nous certifie que Jean-Pierre Béguelin n’a informé Ivan Pictet et la banque de l’existence du livre qu’après sa sortie, à mi-août.

Et pourquoi les milieux financiers genevois ont-ils commandé un tel plaidoyer pour le secret bancaire? L’enjeu est de taille pour ces derniers. Tout d’abord, il leur faut défendre leur vache à lait en Suisse, mais aussi à l’étranger. En cas de disparition du secret bancaire, «le private banking suisse tomberait immédiatement et brutalement dans un âge de fer, marqué par des masses sous gestion et des marges anémiques, des rémunérations amaigries, plus de 100 000 places de travail perdues en permanence, Genève et Lugano sinistrées», écrit Serge Guertchakoff en guise de conclusion.

Mais ce n’est pas tout. L’ouvrage est pensé comme une arme de séduction massive par les milieux de la place financière genevoise. Le peuple suisse sera appelé à se prononcer au moins sur deux questions bancaires ces prochains mois: les accords de double imposition signés avec douze pays, dont l’un au moins devrait faire l’objet d’un référendum, et l’initiative UDC visant à inscrire le secret bancaire dans la Constitution fédérale.

On comprend mieux dès lors qu’il faut lancer une offensive de bétonnage du secret bancaire. Serge Guertchakoff s’en défend: «Mon but est que chacun se fasse son opinion. Mais je veux aussi insister sur le fait que la Suisse n’a pas à avoir honte de son système bancaire. Elle le pouvait à une certaine époque, parce qu’il n’y avait pas la même traçabilité par rapport à l’argent des dictateurs africains ou autres. Depuis quelques années, on dispose de la loi antiblanchiment la plus efficace au monde. On est victime du succès de notre place financière et ça crée des jalousies. Et n’oubliez pas que le monde vit une guerre financière intense.» Ou quand un livre fait office de défense antiaérienne…

*Article paru dans “La Liberté” du 22 août 2009

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