«Les mafias montent en puissance» *


Ancien vice-président du groupe L’Oréal, Robert Salmon appartient à l’espèce des industriels éclairés, pour qui l’expansion économique ne peut se faire sans le souci de la préservation des choses et des êtres. Publié en 2002, l’ouvrage «21 Défis pour le XXIe siècle» témoignait déjà de cet engagement dans la réflexion prospective. Son dernier livre, «Sauver demain», est préfacé par Nicolas Hulot. Rencontre.

Le 24 juin 2002, dans ces mêmes colonnes, je vous interrogeais sur le rôle de la spéculation financière et vous me répondiez: «La bourse pousse au crime». Sept ans après, avez-vous changé d’avis?

Robert Salmon: Pas du tout: la bourse pousse au crime, plus que jamais! Les gains qu’elle permet d’obtenir sont effrayants: 150 milliards distribués aux courtiers sous forme de bonus! Non moins effarant est ce qui risque de se passer, si l’emballement boursier se poursuit au cours des trois prochains mois. Comme il succède à une très grave crise, rien ne dit, en effet, que la consommation suivra. On sera alors dans le pétrin.

C’est-à-dire?

L’argent sale prolifère, malgré ou à cause de la hausse de la bourse. Le poids de l’économie clandestine s’accroît du fait même de la crise. Les mafias montent encore en puissance. Certains pays sont carrément dans leurs mains. On parle beaucoup, dans les médias, des paradis fiscaux, mais c’est du pipeau, à côté du vrai problème que constitue le recyclage de l’argent du crime. Ce dernier s’investit dans des sociétés honorables avec la complaisance des gouvernements. Personne n’ose en parler.

Quelles devraient être les priorités des gouvernements, à votre avis?

Le problème numéro un est sans conteste l’explosion démographique. Nous nous acheminons vers une raréfaction alimentaire déjà constatée dans certaines régions du Sud. Un deuxième souci est le réchauffement climatique. A terme, 30% des régions côtières sont menacées. Nous devons donc réinventer une nouvelle manière de vivre, de penser. Il faudra aussi apprendre à partager. Cela implique une coopération croissante entre les gouvernements. A cet égard, je pense que la transformation du G8 en G20 est un pas dans la bonne direction.

La presse traverse une grave crise. A-t-elle aussi un rôle à jouer?

Absolument. Mais les schémas de l’information doivent être révisés de fond en comble. Un ouvrage de Dan Tapscott explique le comportement des enfants du Net. Ils vivent sur une autre planète que leurs aînés. Ils achètent autrement. Ils ne lisent plus de journaux, ne regardent plus la TV. Tout se passe sur le Web. Les jeunes ont l’impression qu’ils vivront moins bien que leurs parents et se tournent vers autre chose. Quelque part, ils sont moins angoissés, même s’ils vivent dans la précarité.

Les Etats sont-ils conscients de ces nouveaux enjeux? Qui va «sauver demain»?

En France, on constate un certain effort. Des personnalités comme Nicolas Hulot, des députés européens comme Cohn-Bendit posent les bonnes questions. Qui va «sauver demain»? Je m’interroge aussi. Mon livre propose un «conseil des générations futures» disposant d’un droit de veto sur les mauvaises décisions. Un signe encourageant est le simple fait que Nicolas Sarkozy, à qui j’ai envoyé l’ouvrage, a accusé réception avec des mots qui dépassent la simple formule de politesse. Le danger est que l’égoïsme des Etats ne finisse par prendre le dessus.

«Sauver demain», par Toni Casalonga, Jacques Olivier Gratiot et Robert Salmon, Arnaud Franel Editions, sefi@wanadoo.fr.

*Interview parue dans “La Liberté” du 23 octobre 2009

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