Le pacte suisse des présidents argentins


Ancien réfugié politique argentin, Juan Gasparini a commencé une carrière de journaliste en Suisse au milieu des années quatre-vingt. Pendant trente ans, il a été correspondant au Palais des nations de plusieurs journaux latino-américains. En 1995, il publie un premier ouvrage sur la corruption en Espagne. Ses révélations contribuent à la chute du gouvernement Gonzalez. En 2004, il démarre une enquête qui l’amène aujourd’hui à publier un autre livre, «El pacto Menem-Kirchner» (le pacte Menem-Kirchner) du nom des deux hommes qui ont présidé aux destinées de l’Argentine entre 1989 et 2007.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Votre livre plonge au cœur du circuit de l’argent de la corruption.

De passage à Genève il y a une dizaine d’années, notre confrère Pierre Péan disait que ce qui est passionnant dans le journalisme d’investigation, ce sont les obstacles. Pendant quatre ans, au cours d’une longue et difficile enquête, j’ai essayé de démontrer comment les parcours de deux adversaires politiques, aux opinions inconciliables, se rejoignent en Suisse. Ces deux personnages, les anciens présidents Menem et Kirchner, se haïssent. Mais ils concluent un armistice en Suisse aux termes duquel Kirchner aide Menem. Au centre de l’affaire, il y a trois multinationales, Thales, Alstom et Siemens. Thales a payé 25 millions de dollars à l’entourage de Menem pour obtenir un marché relatif au spectre radio-électrique argentin. Une fiduciaire genevoise servait d’intermédiaire. Il n’y a jamais eu d’enquête en Suisse sur Thales. Par contre il y en a une sur Alstom: le ministère public de la Confédération a découvert que 500 millions de francs ont été versés entre autres aux gouvernements brésilien et argentin au titre de pots-de-vin. La corruption était mise au service de la compétitivité.

Pourquoi la Suisse?

La Suisse offrait le secret bancaire le plus performant. L’évasion fiscale n’y était pas encore considérée comme un délit. Pour payer les pots-de-vin en Amérique latine, les multinationales utilisaient toujours la méthode de la triangulation, impliquant l’existence d’un intermédiaire en Suisse.

Comment avez-vous découvert le pot aux roses?

Le déclencheur a été un repenti, un intermédiaire agissant pour le compte de Thales qui a avoué ses agissements devant le consul d’Argentine à Berne. Je me souviens de la date, puisque c’était le jour de mon anniversaire, le 30 avril 2004. Pour comprendre l’histoire, il faut remonter à l’élection de Kirchner, en 2003. Cet événement avait suscité beaucoup d’espoirs. On pensait que la corruption allait être combattue. J’avais alors dévoilé que Menem avait un compte à UBS à Genève. Le ministre argentin de la justice, Gustavo Beliz, est venu dans la ville du bout du lac, l’avocat tessinois Paolo Bernasconi avait été nommé par l’Etat argentin. Et puis, tout à coup, tout est tombé à l’eau. Au moment où tout était prêt pour le rapatriement de l’argent, Kirchner a décidé de se séparer de son ministre de la justice. Fin 2004, on a appris que l’arrivée en Suisse de 500 millions de dollars résultant de la privatisation du pétrole avaient été sortis légalement d’Argentine en 1993 par Kirchner alors qu’il était gouverneur de Santa Cruz. La période entre 2004 et 2008 est très obscure. L’accord de coopération judiciaire bilatérale entre la Suisse et l’Argentine est abandonné par Kirchner au dernier moment. Puis, en 2008, la province de Santa Cruz finit par rapatrier 390 millions de dollars d’un compte de Credit Suisse à Zurich. Où est passé le reste?

A votre avis?
On a assisté à un grand branle-bas de rendez-vous manqués de part et d’autre de l’Atlantique. Kirchner, dont la grand-mère paternelle était bernoise devait se rendre en Suisse mais son voyage a été annulé. Il en fut de même pour Couchepin dont un déplacement en Patagonie aurait dû renforcer de manière notable les relations entre les deux pays. L’Argentine compte la plus forte colonie suisse dans un pays du tiers-monde. Il est clair pour moi que c’est ce problème de corruption qui a empêché le rapprochement. Mais les responsabilités sont partagées. Les juges pouvaient faire recours. Or ils ne l’ont pas fait. A Genève, le procureur Zapelli a classé l’affaire du compte de Menem.

Où en est-on aujourd’hui?

En Argentine, l’instruction est terminée concernant l’affaire Thales. En France, l’enquête se poursuit. Un juge allemand enquête sur Siemens et la justice argentine a demandé la levée du secret bancaire concernant un compte à Credit Suisse, Lugano. Quant à Alstom, on attend que le ministère public de la Confédération boucle l’enquête. Une dizaine de pays sont concernés. Plusieurs enquêtes touchent le couple présidentiel dont la famille, qui est en partie de souche helvétique, a vu parallèlement sa fortune s’accroître de 150%. Elle pourrait s’accroître encore car l’ère Kirchner n’est peut-être pas près de s’achever. Le mandat de Cristina Kirchner s’achève dans deux ans. Mais tant cette dernière que son mari pourraient briguer un deuxième mandat de quatre ans.

Le pacte Menem-Kirchner, par Juan Gasparini, Editions Sudamericana, Libromania Berne, mail@libromania.ch

Interview parue dans “La Liberté” du 24 novembre 2009

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