Plan européen: les contribuables passent à la caisse

La planète Finance doit une fière chandelle aux chefs d’Etat européens. L’annonce de l’injection de 1000 milliards de francs dans le sauvetage des économies européennes en détresse a eu pour effet immédiat de faire bondir les bourses du continent. Facteur d’espoir durable ou feu de paille? L’avis d’un spécialiste des spéculations financières, Marc Chesney qui enseigne la finance au Swiss Banking Institute à l’Université de Zurich.

Ce plan de sauvetage suit de peu celui consenti pour sauver le système financier en 2008. Combien de temps les budgets publics pourront-ils supporter de telles dépenses à répétition?

Marc Chesney: Il s’agit en effet d’un montant astronomique, qui n’a cessé d’augmenter, y compris durant les dernières heures. Il est intéressant de remarquer que les sommes mentionnées ne serait-ce qu’il y a deux semaines étaient bien inférieures, de l’ordre de 50 milliards d’euros. On a l’impression d’assister à une course contre la montre entre des Etats souverains, ou supposés l’être encore, et des marchés financiers livrés à eux-mêmes! C’est pour le moins inquiétant. Il faut bien sûr espérer que ces montants mentionnés ne seront pas entièrement utilisés et que leur simple mise en avant suffira à faire revenir le calme sur les marchés financiers. Sinon les budgets publics et en l’occurrence le contribuable seront en délicate situation.

Comment on est-en arrivé là?

La Grèce n’aurait pas dû faire partie de la zone euro et en est actuellement le maillon faible. Sa participation a été rendue possible en 2000, grâce au camouflage de ses déficits réalisé avec l’aide d’une banque d’affaires bien connue qui a utilisé des produits financiers sophistiqués pour arriver à ses fins. Ce pays a par la suite emprunté à des taux d’intérêts trop faibles ne correspondant pas à sa véritable situation. La crise financière de 2008-2009 a envenimé les choses en Grèce, comme au niveau international. L’innovation financière débridée a engendré pour l’économie mondiale, un risque systémique dont les ondes de choc continuent à être dévastatrices.

Les risques pris par de nombreuses banques d’affaires et fonds d’investissement n’ont pas été assumés par ces institutions, mais par les contribuables, retraités, clients, actionnaires… Les plans de sauvetage mis en place suite à la crise financière de 2008-2009 ont en réalité transféré le risque d’insolvabilité des banques concernées aux Etats. Ce qui s’est passé ces dernières semaines est la résultante de cette dynamique qui a fragilisé la situation économique internationale. Le maillon le plus faible est d’abord attaqué avant de passer aux suivants, Espagne, Portugal… Il est cocasse de remarquer que ceux-là même qui ont été à l’origine du camouflage des mauvais résultats de la Grèce en 2000, sont aujourd’hui actifs sur les marchés de CDS (Crédit Default Swap) qui permettent de s’assurer contre un défaut de paiement de la Grèce, ou de parier sur une banqueroute de ce pays, suivant comment les choses sont présentées…

Finalement ce plan de sauvetage est-il vraiment la panacée?

Privatiser les gains et socialiser les pertes devient explosif, surtout lorsque cela est pratiqué à une telle échelle. Une solution possible serait un projet d’impôt sur les banques, tel qu’il circule depuis quelque temps. Mais un lobby très puissant le bloque.

La Suisse devra-t-elle aussi passer à la caisse?

La Suisse a le gros avantage de ne pas faire partie de la Communauté européenne. En outre, ses banques ne sont pas impliquées en Grèce comme le sont d’autres institutions financières allemandes ou françaises par exemple. Mais il est clair que si l’euro plonge encore, ses exportateurs vont en pâtir. En outre, la Suisse n’échappe pas au risque systémique. Quand la crise est mondiale, elle est aussi concernée. Nous devons absolument réfléchir aux règles du jeu et les modifier si nous voulons éviter des crises à répétition.

Interview parue dans « La Liberté » du 10 mai 2010

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