Luttes internes au «Courrier»


L’éviction du rédacteur en chef du quotidien révèle un problème de gouvernance. Mais employeur et employé s’en rejettent la responsabilité.

Par CHRISTIAN CAMPICHE

Au «Courrier», on «tue» de la même manière que l’on acclame. Le cérémonial habituel exige qu’une assemblée soit convoquée le soir, à laquelle participent une cinquantaine de citoyens triés sur le volet, membres de la NAC, la Nouvelle Association du «Courrier» qui édite le quotidien genevois. Vers 21 heures, s’élève une fumée entérinant une élection ou une mise à l’écart. Le 19 mai 2010, c’est une lourde vapeur noire qui a entouré le sort de Fabio lo Verso. Le rédacteur en chef du «Courrier» quitte la scène. Fin 2006, sa nomination avait pourtant été saluée par des applaudissements massifs.

Problème de gouvernance

Etonnamment, l’employeur et l’employé sont d’accord sur le point capital de la dispute: c’est un problème de gouvernance qui a mené à ce triste épilogue. Mais ils s’en rejettent la responsabilité. Président de la NAC, Florio Togni reproche en substance au journaliste une sorte de résistance passive pendant la préparation d’une nouvelle formule rédactionnelle, axée sur une réduction de la pagination. Fabio lo Verso, lui, s’en prend aux «non-dits» et aux «tabous» qui dominent les discussions concernant les orientations stratégiques. Il déplore aussi une configuration des forces défavorable à la rédaction en chef, contrainte à jouer un rôle de comparse.

Telle qu’elle est définie dans la charte, héritée du temps où «le Courrier» affichait officiellement sa vocation de journal catholique, la ligne semble claire: le quotidien «œuvre à réaliser plus de justice sociale». Il défend «en priorité les plus pauvres et les défavorisés». Dans la pratique, cependant, «le Courrier» est loin de présenter un front uni dans cette approche humaniste de l’information. Au sein même de la rédaction, plusieurs tendances s’opposent. Un clan plus intégriste a milité longtemps en faveur de l’Alliance de gauche, incluant les communistes. «La désintégration de ce mouvement politique en 2006 a constitué une grande chance pour «le Courrier», commente un observateur.

Ces dons du ciel

Les instances dirigeantes du journal ont-elles su saisir cette opportunité? La réalité est que trois directeurs administratifs et trois rédacteurs en chef ont transité par la rue de la Truite, siège du «Courrier», après le départ de la «star» Patrice Mugny, recyclée dans la politique en l’an 2000. Un signe que l’ambiance n’est pas à la sérénité accomplie et que des luttes internes bloquent les choix stratégiques. En 2007, seul un miracle de dernière heure, le cadeau d’une généreuse donatrice, avait pu sauver «le Courrier» du dépôt de bilan.

Depuis, le journal tente de garder tant bien que mal le cap. L’an dernier, il est certes sorti des chiffres rouges grâce à des mesures d’économie et au soutien des lecteurs mais le chiffre des abonnés décroît. L’inquiétude face à l’avenir reste palpable. Un initié: «On peut se demander si la structure d’une association éditrice dont les membres du comité n’appartiennent pas au monde des médias n’est pas surannée». Président de la NAC, Florio Togni se pose peut-être aussi la même question. Il est démissionnaire depuis 2007…

Article paru dans “La Liberté” du 21 mai 2010

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