La chronique financière d’Aldo Schorno – Pour une stratégie ancrée dans l’éthique


La Suisse pourrait fixer aux pays membres de l’OCDE un délai  pour reprendre la loi sur le blanchiment dans leur corpus normatif et assurer le respect de l’article 26 de la convention modèle de cette organisation.

PAR ALDO SCHORNO

Pour sa défense, la place financière suisse invoque aujourd’hui des faits qu’elle a déniés avant le 13 mars 2009.  Elle reconnaît que son modèle d’affaire était basé aussi sur l’évasion fiscale, dont provient la moitié des avoirs gérés. Si elle pointe à juste titre vers les trusts anglo-saxons, la fin de la distinction entre soustraction et fraude fiscale pour les seuls étrangers est une mesure insuffisante pour restaurer la confiance. Pour être crédible et cohérente, la Suisse doit l’étendre à ses citoyens et résidents. Ainsi pourra-t-elle déplacer le débat de sa «petite évasion fiscale» vers la «grande évasion fiscale», symbolisée par les trusts anglo-saxons.

Il faut intégrer dans la défense le problème éthique que soulève le secret bancaire. Il convient de faire son autocritique à la lumière de la vérité historique et d’admettre la bonne foi de nos partenaires. La perspective historique démontre que le secret bancaire n’est pas l’expression d’une relation de confiance privilégiée entre le citoyen et l’Etat. Il n’est pas plus un pilier identitaire indissociable de la neutralité et de la démocratie référendaire. Le rapport de confiance privilégié entre le citoyen et l’État doit s’exprimer par les urnes et le débat démocratique, non par un accord tacite de tolérance de la «petite triche».

D’aucuns avancent la protection de la sphère privée pour maintenir le statu quo. Celle-ci est protégée par le droit civil et n’exige pas un ancrage redondant dans la loi fédérale sur les banques de 1934.  Cette loi était initialement destinée à protéger les clients face à la nouvelle surveillance fédérale des banques et à protéger nos banques de l’espionnage allemand, mais elle visait également la mise au secret de milliers de comptes français non déclarés suite à l’affaire de la Basler Handelsbank! C’est dire qu’elle était ancrée dans un contexte historique particulier, qui a vécu.

Le secret bancaire et la neutralité ont servi à assurer des avantages concurrentiels légaux selon le droit suisse, mais immoraux ou inamicaux aux yeux de nos voisins. La Suisse s’est montrée intraitable sur le secret bancaire; faute de volonté d’objectivité, d’autocritique et d’analyse éthique, aucune stratégie cohérente n’a pu émerger.  La leçon de l’affaire des fonds en déshérence n’a pas été retenue. Pas étonnant !  Depuis 30 ans, l’économie dicte sa mission à la politique. Celle-ci peine à  jouer son rôle dans l’urgence de la crise.  Elle est pourtant appelée à réaffirmer sa primauté et à redéfinir le mandat octroyé à l’économie.

Elle l’a fait en adoptant la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) suite aux pressions de l’OCDE. Bien que dictée de l’extérieur, cette loi est exemplaire dans le texte et l’application. Elle peut servir de moyen de pression à la Suisse ou d’argument éthique sérieux pour exiger des concessions.

L’OCDE invoque en effet des raisons budgétaires et morales pour son action contre l’évasion fiscale et, par conséquent, le secret bancaire. Pour y répondre, la position suisse doit être irréprochable sur le plan éthique et irréfutable sur celui des faits.

Tel sera le cas si la Suisse renonce pour tous au secret bancaire et à la distinction entre soustraction et fraude fiscale. Dans ce contexte, l’échange automatique d’information tel que pratiqué par l’UE ne poserait pas de problème en échange du libre accès pour nos banques en vue d’une stratégie «on-shore» ou «d’argent blanc». La Suisse pourrait ainsi exiger que les standards de la LBA soient appliqués par tous les pays membres de l’OCDE, ce qui rendrait inopérante l’opacité des trusts dont l’ayant droit économique devrait impérativement être connu.

La Suisse pourrait fixer aux pays membres de l’OCDE un délai  pour reprendre la LBA dans leur corpus normatif et assurer le respect de l’article 26 de la convention modèle de cette organisation. En cas d’échec, elle se doterait d’un instrument juridique et de moyens de concurrencer les trusts. Elle le ferait alors en toute légitimité.

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