TEXTE ET PHOTOS: JACQUELINE MEIER
Samedi 15 juillet 2006, 13h.
Pas un souffle d’air dans la cuisine. Il y fait au bas mot 28°. Siroter mon café, embarquer pour Atmosphères, le magazine laissé par ma sœur, et je profile une sieste… quel luxe bienvenu !
Atmosphères se charge de me résumer les livres parus, passe en revue les expositions et les festivals de l’été, non sans m’indiquer quelle garde-robe emporter. Il m’invite à des saveurs de paradis à déguster sur des terrasses de rêves, des voyages dans des îles et autres souvenirs offerts sans que j’aie à sortir de ma torpeur.
Un lézard dans la cuisine. Le temps d’une demi-heure j’avais fait le tour de ce paradis de papier. Du moins le croyais-je. Après avoir rincé ma tasse, j’ai vu ma main plonger et repêcher Atmosphères du sac des vieux journaux où je l’avais déjà remisé. Voilà où finit notre travail ! de quoi le relativiser avec le sourire. Une impulsion me disait d’y découper quelques images remarquées, sans les chercher pour autant. Je tourne les pages une seule fois et cueille au passage. Pacte d’enfant. J’avance lentement, le regard relâché. La première image ? les espadrilles. Logique pour commencer le voyage. Palette de base et symbole. Mais c’est, sans conteste, l’impact de la danseuse qui m’a fait retourner en Atmosphères. Après cette pierre de touche, les évènements se sont enchaînés malgré moi. Le choix, la disposition, l’évolution, voir la construction ? j’ai laissé faire. Désirs, formes, couleurs et matières, un zeste de souvenir et des nécessités architecturales, tout ça
sans penser. Surtout pas. C’est ainsi que naissent les collages. Ce n’est pas une incursion dans Atmosphères, mais plusieurs qui ont été nécessaires pour les détails, les fusions et le jamais fini.
17h. Il fait toujours aussi chaud. En m’étendant sur mon lit – enfin la sieste – je choisis un des drapeaux fleuris par Humerose qui ont la bonne idée de flotter par dessus le pont du Mont-Blanc. Je le plaque au mur en face de mon lit. Ça le couvre en entier. Me voilà télé portée, couchée dans de l’herbe géante, sous des coquelicots. Pour un peu je sentirais une brise. Mes yeux bifurquent au plafond. Soupir. Depuis le temps que je me dis que je vais installer un van. Pas envie de m’aventurer dans l’ozone surchauffé des rues de la ville pour aller dénicher cet objet utilitaire quelques semaines par an.
20h. Marche au bord du lac. Ou le bord de mer. La peau colle. Avant de rejoindre Morphée, je reprends l’exploration d’Atmosphères qui s’offre à moi de plus en plus cisaillé. Inespérée et inattendue est la découverte de trois vases en verre multicolores. Le point final et celui du départ.
Dimanche 16 juillet 2006
Je prolonge mon séjour style Atmosphères en allant boire un café les pieds au raz de l’eau. Le dimanche à 8h la Terrasse est un lieu désert. Je me laisse aller dans le rien. J’ entends les modulations joyeuses d’ une langue inconnue parlée par les deux jeunes Noirs aperçus en arrivant. Munis de râteaux, ils collectent les centaines de mégots – la nuit a du être longue – qui jonchent la pelouse derrière la Terrasse. Je fais le plein de quelques inspirations, sans oublier d’expirer. Cette marée va m’aider à m’immerger au bureau dans la réalité du monde. Enfin, quelle réalité ? Iconographe est le souhaité. Pourvoyeuse d’image est plus réaliste. A tour de rôle, seul ou à plusieurs, nous avons le défi de mettre les « bonnes » images au bon endroit dans le quotidien. Les demandes nous parviennent des autres secteurs de la chaîne par e-mails, téléphones, discussions. Les réponses, nous les trouvons dans un éventail varié entre mémoires et bases de données via l’ordinateur. Une de ces bases centralise la production quotidienne. A savoir, les photos arrivent et se suivent pêle-mêle au gré des évènements et des lieux, du monde entier. Des milliers par 24h. Les yeux rivés à l’écran, je fais défiler les vignettes et je vois les destructions au Liban, des cadavres, suivi par un mach de tennis. Des images de canicule en Europe et mousson d’ailleurs, entrecoupées de celles de chefs d’Etats surpris et j’en passe. Je me demande donc quelle réalité a ce monde ? Toutes et aucune, suis-je tentée de dire.
Durant la journée et le soir, aux instants qui se suivent, je dois aller avec le courant. Pas d’état d’âme possible. Commander un dessin pour illustrer tel thème, orienter un photographe, parler délais, formats, noir/blanc ou couleur. Jongler avec les demandes des rubriques sport, économie, culture et société. Faire un tour par les régions et la Suisse avant de filer en internationale. Tout ça au mieux. Rarement le temps – un comble – le numérique, l’informatique et le téléphone portable, quelles merveilles ! Pourtant à force de gommer le temps on en a plus. Logique, non ? ni la joie de dénicher la perle ! Le monde fragmenté pourtant réel visité en virtuel sous air conditionné. Il y a pire comme job. Il y a mieux comme voyage.
Mardi 18 juillet.
Parfois le son accompagne l’image. Notre photographe au bout du fil. Il appelle depuis l’arrière de la grande scène de l’Asse. Il s’inquiète de savoir si j’ai reçu ses photos. J’ai Paléo en direct pour le son, en léger différé pour les images. Je le rassure en ajoutant qu’elles sont magnifiques. Tant que je peine à les départager et faire un choix.
St-luc, dimanche 23 juillet.
La frise des montagnes, l’ouverture du ciel, l’air frais et soleil d’été. Déjeuné avec des amis sur la terrasse herbeuse de l’hôtel Bella Tola et trinqué autour d’une fondue le soir. Fraises, fous rires, vent et orage. Délivrance. Escale bienvenue. La vision de la guerre et le reste du monde sont loin pour quelques heures. Redescendre dans le four ne m’inspire guère.
(A suivre)