Departures: le respect du deuil et du chagrin


Film rare, sujet audacieux, l’œuvre du Japonais Yojiro Takita transcende une profession peu séduisante et la relie aux relations familiales.

PAR GENEVIEVE PRAPLAN
Lorsque son orchestre est dissous, Daigo (Masahiro Motoki) décide de revenir avec sa femme (Ryoko Hirosue) dans sa ville natale et d’habiter la maison de sa mère. Cherchant du travail, il s’engage dans une «agence» qui parle de «départ» et découvre qu’il a accepté un emploi de pompes funèbres. Daigo est formé avec beaucoup de pudeur par son maître (Tsutomu Yamazaki). Lui qui n’a pas pu assister aux funérailles de sa mère et qui en veut à son père de l’avoir abandonné lorsqu’il était enfant, découvre l’univers de la mort et la complexité des relations familiales qui s’exacerbent et s’apaisent au moment du deuil.
Nul ne pourra reprocher à Yojiro Takita d’avoir choisi un sujet commercial. Parler de la mort, déjà, est si peu compatible avec notre temps: que dire alors de la toilette du cadavre? Et pourtant, quel thème passionnant pour évoquer les relations familiales! Autour d’un mort, le temps se suspend, se sacralise en même temps qu’il renvoie chacun à lui-même, à la relativité de son existence. Tout devient dérisoire; seul l’absent prend de la grandeur et semble guider ceux qui le pleurent.
L’idée de ce film est celle de Masahiro Motoki lui-même, l’acteur qui incarne si bien Daigo piégé dans son nouvel emploi. Il a assisté, dix ans plus tôt, à une cérémonie du passage, en Inde, qui l’a marqué. Depuis, il n’a cessé de s’intéresser au rituel de la mise en bière. D’autant que certaines régions du Japon accordent encore une grande importance à cette tradition à laquelle assistent toujours les familles.
Parler de tradition, évoquer le retour au pays pourrait figer DEPARTURES dans une nostalgie de mauvais aloi. Il n’en est rien. La toilette du mort n’est que le prétexte d’un film sur la mémoire, d’un jeu de miroir qui met au jour les blessures familiales et les frustrations de l’enfance. Daigo s’installe dans sa maison natale, pour lui cela veut surtout dire plonger dans les miasmes sur lesquels il s’est construit, tandis que son épouse découvre le poids des non-dits. C’est un retour sur soi, nécessaire pour aller de l’avant, enfin.
Trop de fond musical, quelques plans superflus? C’est vrai. Mais tant de réussites s’accordent dans ce film qu’on oublie ses quelques défauts. Celle de l’analyse de caractères, par exemple, si finement menée derrière ses beaux symboles. Ajoutons-y la délicatesse du regard, la pudeur des gestes, le respect du deuil et du chagrin. Masahiro Motoki, qui a dû apprendre les gestes du violoncelliste, les utilise pour s’occuper des morts avec la grâce d’une chorégraphie. On le sent imprégné par son sujet, incarnant la compassion dans son sens étymologique. A ses côtés, il faut voir son maître. Derrière le masque de son visage, lui aussi a son histoire, liée à la mort, liée à la vie. Sa philosophie est une leçon.
DEPARTURES pose sur l’écran un autre sujet difficile, celui de l’acceptation d’un métier qui touche à la mort et à ses tabous. Travailler dans les pompes funèbres est une idée qui prête à rire, ou qui répugne, autant de réactions faussées par la crainte de la mort. L’expérience de Daigo est bénéfique, pour lui, pour ses proches, mais aussi pour le public. Ce n’est pas l’horreur du «départ», la décomposition, la destruction dont il est question ici. Mais d’une beauté qui se révèle un peu plus à chaque geste, celle de l’apaisement.

(OKURIBITO) Japon, 2008. Avec Masahiro Motoki, Tsutomu Yamazaki, Ryoko Hirosue, Kimiko Yo, Takashi Sasano, Kazuko Yoshiyuki. Drame. Durée: 2 h 10. Dist.: Rialto.

Article publié dans Ciné-Feuilles n° : 591

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