Voulez-vous vous doper, MM. les coureurs ?


PAR BERNARD WALTER

En ce moment se court le Tour de France, considéré  comme l’épreuve reine du cyclisme mondial.

Pour la retransmission d’événements de ce genre,  les reporters sportifs assurant le commentaire des épreuves de première importance sont accompagnés de consultants. Ceux-ci étant le plus souvent d’anciennes gloires sportives, le reportage y gagne en intérêt, car l’auditeur ou téléspectateur a la certitude que le consultant sait de quoi il parle.

Mais voilà, ces consultants, très à l’aise lorsqu’il s’agit de faits de course, sont mis en situation d’acrobaties morales dès que le commentaire « dévie » sur des questions de dopage, ce qui ne manque pas d’arriver à un moment ou à un autre.

Pour des informations sur des faits et prises de position sur le dopage, je renvoie au site internet cyclisme-dopage.com.

Mon propos n’est pas ici d’entrer dans une polémique mille fois discutée ni d’émettre un quelconque jugement sur les coureurs qui se retrouvent fatalement et souvent dramatiquement confrontés à ce problème dont ils sont les premières victimes sur le plan de la santé.

Ce qu’on peut simplement observer quant à cette question, c’est le schéma classique qui à chaque fois se répète: le coureur ne sait rien, il n’a rien fait, il est innocent, il ne comprend pas les analyses positives le concernant, il demande des contre-expertises, il est victime d’une erreur lorsqu’il subit une condamnation, et puis, bien après, d’une façon ou d’une autre, il avoue qu’il s’est dopé.

On en a quelques-uns qui ont toujours systématiquement nié avoir eu recours au dopage. Tel Lance Armstrong.

On peut supposer qu’il ne dit pas la vérité.

En 2005, il a gagné le Tour de France à la moyenne générale ahurissante de 41, 650 km à l’heure. (Faites ne serait-ce que 20 km à cette allure, vous verrez ce que ça veut dire).

De l’avis général, et de par le palmarès, Eddy Merckx est le plus grand coureur de l’histoire du cyclisme.

Merckx a gagné 5 fois le Tour. Son record personnel, il l’a établi en 1971, à la moyenne de 37, 290 km à l’heure.

Soit pour chaque heure de course 4 km de moins qu’Armstrong.

Selon les statistiques, le Tour 2005 et le Tour 1971 comportaient le même kilométrage. Il y a juste cette différence que Merckx, le meilleur de tous les coureurs, a mis 9 heures 30 de plus qu’Armstrong pour boucler « la grande boucle ». Cherchez l’erreur.

(Et pourtant Merckx a lui aussi eu droit dans sa carrière à des contrôles positifs !)

Revenons à nos consultants. Il se passe cette année quelque chose de très étonnant. Le téléspectateur suivant le Tour de France 2010 peut entendre  une espèce de vieillard un peu bizarre jouer le rôle du consultant. Pourvu d’une voix tout sauf télégénique, ce monsieur semble dater du temps de Koblet et Bartali !

Et pourtant il ne s’agit rien moins que de Laurent Fignon, 50 ans, vainqueur du Tour en 1983 et 1984.

Laurent Fignon est un célèbre rescapé du dopage, qu’il a bien sûr, « comme tous les autres », longuement nié. Il souffre d’un cancer terrible contre lequel il se bat de toutes ses forces, selon ses dires. Ce cancer a-t-il un lien avec tous les produits qu’il a pu absorber pour le plus grand bien de ses performances sportives ? Nul ne le sait, et nul n’oserait le prétendre. Va-t-il rejoindre Tom Simpson et Pantani au panthéon des victimes du dopage, qui peut le dire ?

Mais il est pathétique d’entendre cet homme dans la force de l’âge, sous le nez duquel défilent les supersoniques du jour, Contador, Schleck, Cancellara, Cavendish, commenter l’épreuve des costauds avec une voix de vieillard.

Et pourquoi toutes ces contradictions, ce jeu de cache-cache permanent, ces mensonges, tricheries et dénégations ?

Nous sommes dans une société qui prône le primat de la liberté individuelle.

Alors pourquoi tous ces contrôles ?

Pourquoi ne pas libéraliser totalement le dopage ? Ça ferait plaisir aux coureurs qui à 99% sont dans le déni tant qu’ils sont sur leur vélo.

Et ainsi, il se passerait plein de choses dans les compétitions.

Chaque course serait un vrai concours de poker. “Quel risque je prends aujourd’hui ?” “Jusqu’où je peux aller sans me casser la figure ?” “Et s’il en prenait plus que moi ? Allez, encore un petit coup !”

Les étapes seraient pleines de surprises. Alors bonjour les parieurs ! Autant jouer à la loterie à numéros !

Et peut-être que c’est le plus propre qui gagnerait le Tour, les autres finissant à l’hôpital ou au cimetière ?

Une telle libéralisation aurait au moins un avantage. Celui d’avoir des conditions absolument claires pour tous, pour les organisateurs, managers, médecins, pharmaciens et coureurs (parce que finalement ces derniers sont aussi concernés par la question).

La seule obligation incomberait à l’Union Cycliste Internationale. Celle-ci devrait éditer un petit livre indiquant les dangers et effets secondaires des produits dopants connus.

Certainement qu’un tel ouvrage serait alors étudié beaucoup plus sérieusement par les protagonistes directement concernés, puisqu’ils pourraient ensuite faire ce qu’ils veulent.

Une consultation auprès des coureurs serait intéressante. Préfèrent-ils une interdiction du dopage assortie de contrôles et tricher, ou préfèrent-ils une totale liberté et ne pas tricher ?

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3 commmentaires à “Voulez-vous vous doper, MM. les coureurs ?”

  1. winamax 23 juillet 2010 at 09:15 #

    Salut à tous J’arrive par hasard sur cet article et je reconnais qu’il exerce notre reflexion. Je vous remercie pour ce message. Bon courage !

  2. Artémis 23 juillet 2010 at 11:21 #

    “Une consultation auprès des coureurs serait intéressante. Préfèrent-ils une interdiction du dopage assortie de contrôles et tricher, ou préfèrent-ils une totale liberté et ne pas tricher ?” Votre conclusion m’inspire la réaction suivante.
    A mon avis, ce ne sont pas les coureurs qui peuvent répondre à cette question, mais leurs sponsors, autrement dit leurs managers, c’est à dire Astana, Saxo bank, Radioshack, Française des jeux, Caisse d’Epargne, Agir2LaMondiale, etc. Je ne pratique pas le cyclisme sportif, mais effectue la plupart de mes déplacements en vélo citadin, et peux me rendre compte de l’effort colossal fourni par ces cyclistes. Rama Yade, pleine d’admiration en début de tour, les a même qualifié de forçats de la route! Cependant, n’oublions pas que ce sont des professionnels. Ils gagnent leur vie en faisant des courses qui profitent à leur image mais aussi à celle des entreprises citées plus haut, sans oublier l’impact touristique sur les régions traversées ainsi que le taux d’écoute TV qui rapportent beaucoup à des tiers. Par conséquent, les cyclistes sont-ils encore libres de refuser le dopage? D’ailleurs, tous les professionnels qui se donnent à fond à leur entreprise, ne sont-ils pas logés à la même enseigne?
    Je rêve d’une société prête à récompenser l’excellence au niveau individuel plutôt que la compétition entre les individus! Pour en arriver là, le modèle doit changer: moins de valeurs machistes et un meilleur accueil aux valeurs d’inspiration féminine.

  3. Bernard Walter 23 juillet 2010 at 13:32 #

    Je suis d’accord, moyennant certaines nuances, avec ce que dit Artémis.
    Il me faut le dire clairement: je n’incrimine pas les coureurs, même si certains me sont plus sympathiques que d’autres.
    Ma conclusion soulevait un paradoxe lié au système des compétitions sportives de haut niveau, et en particulier au cyclisme, parce qu’il est sans doute le plus dur de tous physiquement.
    On édicte des règles que les coureurs sont CONTRAINTS de contourner, sinon ils sont « largués ». Ces transgressions systématiques des règlements font que les mêmes coureurs sont CONTRAINTS de vivre dans le mensonge. Et sont dans un processus autodestructeur sur le plan de leur santé. C’est un jeu bien cruel. Compense-t-il les moments de gloire qu’une partie d’entre eux en retirent ? Qui peut répondre ?
    Jusqu’au jour où, leur carrière étant derrière eux, certains parlent, ce qui doit alléger leur souffrance morale.
    C’est la raison pour laquelle j’ai poussé le raisonnement jusqu’à l’absurde : si on libéralise tout le domaine du dopage, plus aucun coureur n’est en infraction, plus aucun coureur ne pourra être qualifié de « tricheur ».
    Je pense que c’est l’esprit du sport qui est perverti. Une libéralisation du dopage serait une mesure catastrophique. Mais la situation actuelle est-elle tellement meilleure ?

    Les grands cyniques dans tout cela, ce sont les industriels et autres commerçants qui envoient des générations de jeunes bien doués physiquement au casse-pipe moral et physique, qui les laissent se faire droguer pour en tirer du profit, qui les licencient si lesdits coureurs se font attraper, et s’en lavent les mains, avec en prime une leçon de morale sur l’honnêteté.
    Sans parler des médecins et des pharmaciens pervers qui s’enrichissent en prescrivant et en fournissant des produits dont ils connaissent les dangers.

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