«La grande classe!»
CHRISTIAN CAMPICHE
C’est en ces termes que les CFF invitent les détenteurs d’un abonnement général de deuxième classe à faire le pas et à prendre un abonnement de première, moyennant des avantages détaillés dans un dépliant que les abonnés ont reçu à leur domicile. L’illustration de la brochure est tout ce qu’il y a de plus classique. Deux passagers des CFF, confortablement assis dans un wagon de première, sont plongés dans la lecture de deux quotidiens, le «Tages Anzeiger» et «Le Temps», dont on parvient même à lire la date de parution: vendredi 4 juin 2010. C’est dire si l’on ne voit que ces deux titres sur l’image.
Luxe, calme et volupté au service de deux journaux de Tamedia, le plus grand groupe de presse helvétique, désormais propriétaire de la plupart des journaux lémaniques depuis le rachat d’Edipresse. Rien à dire jusque-là, si ce n’est qu’une question vient spontanément à l’esprit: Tamedia a-t-il acheté un espace publicitaire aux CFF? Consultée, la régie répond par la négative. Mieux, elle n’y voit aucune concurrence déloyale par rapport à d’autres titres de la presse helvétique. «Le Temps» est un journal de référence suprarégional, «le critère est la qualité», précise Fédéric Revaz, au service de communication des CFF.
Directrice du «Temps», Valérie Boagno rappelle que «Le Temps» entretient des relations commerciales avec les CFF du fait que ses rédactions sont locataires des gares et que le personnel est un grand consommateur d’abonnements de train. Toutefois, estime-t-elle, il ne saurait y avoir de concurrence déloyale puisque le choix de l’image revient aux CFF et non aux éditeurs du journal.
«Le Temps», relève-elle, est souvent sollicité pour ce genre d’opération. Mme Boagno souligne que ce journal a une connotation «suprarégionale» et «business» qui lui vaut d’être embarqué dans les TGV et les avions. «En l’occurrence, les CFF nous ont demandé l’autorisation mais il n’y a pas eu d’échange d’argent ni de contrepartie, assure Mme Boagno.
Sémiologue à Lausanne, Gilles Lugrin considère, lui aussi, que cette mise en scène ne pose «aucun problème» du fait de la renommée des deux journaux qui correspondent à l’image de standing que veulent donner les CFF. Avec un journal régional comme «La Liberté», le résultat ne serait pas le même, assure M. Lugrin, sans se demander pourquoi la «Neue Zürcher Zeitung», quotidien haut de gamme s’il en est, n’a pas été préférée au «Tages Anzeiger».
Directrice du marketing de «La Liberté», Nancy Zürcher a tenté de son côté d’en savoir plus sur le choix des CFF. Elle n’a reçu à ce jour aucune réponse à ses appels et messages téléphoniques. Elle ne voit pas pourquoi «La Liberté», quotidien romand, indépendant, ne pourrait pas être aussi un journal qui soit lu dans une voiture de première classe des CFF où traînent également par ailleurs des journaux gratuits. «Cette logique est assez vexante et peu réaliste», poursuit Mme Zürcher, qui ne trouve pas par ailleurs cette campagne très valorisante pour les CFF. «Les voyageurs devraient être les acteurs principaux de cette promotion et non pas leur lecture.»
Article paru dans « La Liberté » du 31 juillet 2010
Ah ces CFF… ils misent sur la nécessité de mieux se fondre dans l’atmosphère de 1ère pour faire abandonner leur recueil quotidien de brèves et potins aux fidèles lecteurs du « 20 minutes » que l’on croise à quasiment chaque banquette de 2ème… et parfois aussi en 1ère d’ailleurs, peut-être caché sous un exemplaire d’un journal payant.
Oui, en deuxième on s’habille casual, on entend la musique des autres, les valises dépassent dans les couloirs, les enfants courent dans tous les sens, on peut partager les conversations téléphoniques des tiers, des parapluies dégoulinants et déformés à nos pieds quand il pleut… En première on a une mallette ou une valise en cuir, un parapluie en parfait état, on lit, on travaille sur son ordinateur, on se repose, on se détend, pendant que l’enfant tout près continue à dormir dans sa poussette.
Certaines différences sont justifiées, notamment par l’environnement dans lequel on se trouve. On se comporte différemment sur un linoléum que sur une moquette ou lorsque l’espace entre les sièges est plus ou moins important. D’autres le sont carrément moins, comme par exemple celle d’un choix de lecture.
Il aurait été préférable que les CFF s’en tiennent à une différenciation basée sur des données techniques et tarifaires mais non pas fondée sur l’apparence. Des journaux non identifiables auraient pleinement fait l’affaire…
Quoiqu’il en soit: « La Liberté » a des ailes qui la portent bien plus loin que les rails conformistes sur lesquels s’est posé « Le Temps » et qui s’arrêtent aux frontières du pays.