Depuis 2007, les Américains savent qu’ils ont perdu la guerre et que les taliban vont reprendre le pouvoir. Dimanche dernier, les Pays-Bas ont retiré leurs soldats d’Afghanistan. À qui le tour ?
PAR IAN HAMEL
Je me considère pas comme un spécialiste de l’Afghanistan et du Pakistan. Mais j’y ai séjourné plusieurs mois, notamment en 2007, pour écrire L’énigme Oussama Ben Laden (*), préfacé par Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en France. À ma grande surprise, j’ai découvert que dès cette époque, les négociations allaient bon train avec les groupes djihadistes. Le président Hamid Karzaï déclarait tranquillement que l’on « doit parler aux taliban qui ne sont pas membres d’Âl-Qaïda ou du réseau terroriste (…) et les persuader de revenir à une vie normale ».
Or, c’est clair que l’immense majorité des “étudiants en religion“ ne sont pas membres d’Al-Qaïda, Ils n’aspirent qu’à pratiquer un islam rigoureux, entourés de leurs femmes voilées et illettrées, et à cultiver sans entraves l’opium. Certainement pas à jeter des avions sur des tours géantes. Pour preuve, les Etats-Unis n’ont jamais classé les taliban parmi les organisations terroristes.
Pas de traque de Ben Laden
Actuellement, Al-Qaïda (ou ce qu’il en reste) ne doit pas compter plus d’une centaine de combattants sur le territoire afghan. La plupart des partisans du djihad international sont repliés au Pakistan. Le colonel suisse Jacques Baud, connu pour son Encyclopédie des terrorismes, a même révélé l’année dernière que la cellule de la CIA spécialisée dans la traque de Ben Laden avait été dissoute.
Dans mon livre, paru en novembre 2008, j’écrivais qu’« il reste à expliquer à l’opinion publique que des psychopathes qui décapitent leurs otages et qui brûlent les écoles méritent d’occuper des postes ministériels ». Les peuples ont peut-être la mémoire courte, mais pas au point d’oublier l’intervention militaire de 2001 pour renverser les taliban, coupables d’héberger Oussama Ben Laden. Ni les 345 milliards de dollars dépensés (sinon volatilisés) depuis pour, soi-disant, sortir l’Afghanistan du sous-développement…
Les taliban refusent la main tendue
Depuis trois ans, Barack Obama, prenant la succession de George Bush, a tout tenté pour réhabiliter des taliban, tour à tour qualifiés de « modérés », de « fréquentables » et même de « bons » taliban, par opposition aux « mauvais » taliban, restés fidèles à Ben Laden ! En vain. Les insurgés n’ont que faire de ces mots doux. Ils savent que le pouvoir va leur tomber dans la bouche comme un fruit mûr. Il suffit d’être patient.
La guerre redouble de violence, le président Hamid Karzaï, réélu en bourrant les urnes, n’a jamais été aussi peu crédible, et l’armée nationale afghane (ANA) aussi pitoyable. Pour sauver la face, Washington vient de sortir de son chapeau le mot « transition », à l’occasion d’une conférence internationale qui s’est tenue le 20 juillet à Kaboul, réunissant les principaux donateurs.
Mise à mort des femmes adultères
Il s’agit de donner les moyens au pouvoir afghan de « recouvrer sa souveraineté financière et sécuritaire », confisquée depuis 2001. En clair : « Voilà un peu de sous et débrouillez-vous ». Une façon hypocrite de reconnaître que la guerre est perdue et que les Américains et les forces de l’OTAN vont se retirer sur la pointe des pieds entre 2011 et 2014.
Ensuite, que va-t-il se passer ? Les taliban pourront de nouveau fouetter les étourdis qui oublient l’heure de la prière. Les femmes adultères seront abattues d’une balle dans la tête, sous l’œil bienveillant du mollah Omar. Et avec la bénédiction du Pakistan. Les documents publiés sur le site WikiLeaks montrent que depuis 2001 les services secrets d’Islamabad n’ont jamais cessé d’aider les taliban.
Les Tadjiks lorgnent sur l’Inde
Les taliban sont des Pachtounes, comme beaucoup de militaires pakistanais. Et leurs ennemis prioritaires, ce sont les Tadjiks, l’ethnie du commandant Massoud, assassiné deux jours avant le 11 septembre 2001. Quant aux Tadjiks, ils lorgnent sur l’Inde, l’ennemie héréditaire du Pakistan. Depuis 2001, les réseaux indiens étendent leurs ramifications sur le territoire afghan, sous l’œil bienveillant des Occidentaux.
Ce n’est pas un hasard si le président Karzaï vient de limoger Amrullah Saleh, le chef des services de renseignement afghans, un Tadjik originaire du Penchir, comme le commandant Massoud.
Le Cachemire, en état de guerre depuis 1949
Dans ces conditions, le retrait des troupes néerlandaises (1 950 militaires stationnés dans le sud du pays) est logique. D’autant qu’ils ont perdu 24 soldats, dont le fils du chef d’état-major de l’armée hollandaise. À qui le tour ? Le Canada, traditionnel allié des Etats-Unis, se pose lui aussi la question d’un retrait de son contingent. En effet, pourquoi attendre 2014 et rentrer piteusement dans les bagages de l’armée américaine ? Cela évitera au moins des dizaines de morts.
Le socialiste Paul Quiles, ancien ministre français de la Défense, vient à son tour de réclamer le départ des 4 000 soldats français, dans une tribune du Monde datée du 28 juillet. Toutefois, assez naïvement, l’ancien ministre souhaite qu’une conférence internationale fasse de l’Afghanistan un Etat neutre. Feint-il d’ignorer que l’Afghanistan est un pays sans Etat, et ne risque pas de le devenir avant bien des décennies, sinon des siècles. Il suffit de regarder ce qui se passe au Cachemire. Depuis 1949, l’ONU n’a pas été capable de faire cesser les affrontements qui opposent Indiens et Pakistanais.
(*) Ian Hamel, L’énigme Oussama ben Laden, Editions Payot, 322 pages.