Les chances qu’un Tessinois accède au Conseil fédéral le 22 septembre sont quasi nulles. Qui s’en soucie?
PAR PIERRE KOLB
Un seul candidat est annoncé pour l’heure, le conseiller national ignazio Cassis, médecin des environs de Lugano. Une personnalité très intéressante, dont la démarche a été en général poliment saluée. Petit détail, il a une mini-casserole, un retrait de permis l’an dernier pour un 170 km/h sur l’autoroute. De prime abord pas de quoi en faire un fromage, mais la dominante moralisatrice des médias commerciaux eût voulu qu’on en parle, ce qui n’est pas le cas. Par complaisance ? Sans doute pas. Plutôt le sentiment qu’il n’y a pas à s’appesantir « du moment qu’il ne sera pas élu« .
Et l’on passe à autre chose. Dans le cercle de ceux qui donnent le ton fédéral, qui a pris la plume, ou la parole, pour s’inquiéter de cette absence, qui perdure, d’un conseiller fédéral italophone? Les commentateurs patentés ont d’autres priorités.
Seule voix dominant cette indifférence, Georges Plomb, dans le blogue qu’il tient en marge de l’hebdomadaire « Coopération ». Il souligne combien cette absence du Conseil fédéral (onze ans depuis le départ de Flavio Cotti) est anomale. Il est aussi frappé par « la faible volonté de « construire » un candidat de langue italienne ». Et là, les grands partis suisses sont montrés du doigt.
Là est effectivement le problème. Le principe général – et constitutionnel – d’une représentation équilibrée au Conseil fédéral, que Micheline Calmy-Rey vient de rappeler, est battu en brèche dès que des intérêts de partis, ou d’officine genre état-major patronal, sont contrecarrés. Ce n’est pas par hasard que l’on se soit plus inquiété l’an dernier, à l’occasion de la succession Couchepin, de la représentation italophone, que cette année, malgré qu’aujourd’hui deux fauteuils soient mis au concours. Mais aujourd’hui, les sortants sont alémaniques. Dans les deux partis on estime sans le dire avoir assez donné, sur le plan linguistique, avec Micheline Calmy-Rey et Didier Burkhalter. Renoncer à avoir au moins un conseiller fédéral alémanique ? Intolérable. Tel est le non-dit.
A ce tarif, il ne reste plus qu’à se tourner vers le troisième parti à deux sièges pour le mettre à la « corvée tessinoise », et l’on sait, primo, que ce parti n’existe pas en ce moment; secundo, que le PDC s’est montré incapable de défendre une candidature tessinoise lors de ses tentatives de récupération du deuxième fauteuil perdu; tertio, que l’UDC, le cas échéant, devrait aller chercher une solution en s’alliant avec la » Lega « , donc en renonçant a contrôler l’opération, ce qui n’est pas le genre de la maison.
Cette UDC qui aurait déjà toutes les peines du monde à présenter un candidat romand. Au demeurant le » deuxième siège UDC » est toujours occupé par Eveline Widmer-Schlumpf. Son sort, à l’échéance de décembre 2011, n’est pas réglé pour l’instant, pas plus que l’on puisse s’attendre, en cas de départ spontané ou forcé de la Grisonne, à ce que l’UDC renonce à la remplacer par une de ses présumées locomotives alémaniques.
Faut-il prévoir qu’à l’échance de la législature Micheline Calmy-Rey, annoncée partante par les spéculations du Palais, serait remplacée par une Tessinoise ? Il n’est pas exclu qu’outre Sarine on considère normal que la représentation non-germanique soit ramenée, au mépris des équilibres, à deux Romands ou un Romand et un Tessinois, au lieu de deux Romands et un italophone. D’ailleurs d’aucuns pensent que tel était le scénario l’an dernier, sauf que des doutes ayant circulé sur les aptitudes de Fulvio Pelli, les marionettistes du Palais ont préféré se rabattre sur le soldat Burkhalter.
Si le non-dit va jusque là, cela risque de poser de sérieux problèmes l’an prochain, sur le moment, et à long terme. Sur le moment particulièrement, puisque avec Pierre-Yves Maillard, Alain Berset ou Christian Levrat, les Romands disposent de personnalités d’envergure qu’il serait pervers d’écarter au profit d’une éventuelle personnalité tessinoise dont une année plus tôt, lors de cette double vacance 2010, on n’avait pas soupçonné la valeur… A long terme parce que la portion congrue de deux minoritaires linguistiques au lieu de trois, outre qu’elle induit de lourdes rivalités entre francophones et italophones, est inadmissible sur le plan des équilibres.
On comprend pourquoi l’absence d’une recherche sérieuse, en amont de la double succession actuelle, de personnalités italophones, est anomale, et dangereuse. Pourquoi aussi la force des choses risque de renvoyer à de longues années encore l’accession d’un Tessinois au Conseil fédéral. C’est une impasse.
On comprend aussi que le canton du Tessin, dans un préavis sur la composition du Conseil fédéral, se soit prononcé pour un collège de neuf membres. La seule alternative à cet élargissement, si l’on tient à rétablir des équilibres, serait une règle constitutionnelle explicite selon laquelle l’actuel collège de sept membres doit comprendre au moins deux Romands et un Tessinois.
L’une ou l’autre de ces formules présenterait des difficultés d’application. On en fait systématiquement l’objection dès qu’une de ces deux solutions est mise sur le tapis. On en reste au statu quo par crainte de difficultés potentielles, mais l’échec de la formule actuelle est, lui, bien réél.
pierre.kolb@courant-d-idees.com