Historique : le Parlement suisse, qui a été lʼun des derniers pays à accorder le droit de vote aux femmes, a élu un gouvernement à majorité féminine : 4 femmes sur les 7 membres du Conseil fédéral.
PAR MARC SCHINDLER
La nouvelle élue, Simonetta Sommaruga, est une socialiste convaincue, sénatrice influente et ancienne défenseur des consommateurs. Elle remplace un ministre à bout de souffle, qui a siégé 16 ans au gouvernement. Avec la ministre des Affaires étrangères, les socialistes ont un duo de choc au gouvernement fédéral.
Le nouvel élu, Johann Schneider-Ammann, est patron dʼune entreprise spécialisée dans les machines de chantier et la construction. Il est aussi vice-président dʼeconomiesuissse, lʼéquivalent helvétique du Medef. Un poids lourd de lʼéconomie, dont la fortune est estimée à 450 millions dʼeuros. Il occupera le siège libéral-radical (centre droit) dʼun ancien ministre des Finances, malade, dépassé par les événements et poussé à la démission par son parti.
Que de chemin parcouru pour les femmes, en Suisse, depuis quarante ans ! Les électeurs leur ont accordé le droit de vote aux élections fédérales, en 1971. Mais, dans lʼirréductible démocratie montagnarde du demi-canton dʼAppenzell Rhodes Intérieures, il a fallu attendre le 27 novembre 1990 pour que la Landsgemeinde (lʼassemblée populaire) vote à mains levées, sous la pression des féministes qui avaient porté plainte au Tribunal fédéral.
Lʼimage a fait le tour du monde : le landamann (président) demande aux milliers dʼélecteurs réunis sur le Ring (la place de lʼassemblée), tous porteurs de lʼépée traditionnelle, de lever la main sʼils acceptent de donner le droit de vote aux femmes. Une forêt de mains pour. Qui est contre ? Une forêt aussi dense. A Appenzell, selon la tradition millénaire, on ne compte pas les voix, on les estime. Impossible de trancher. Après une brève concertation, le landamann proclame que les femmes auront le droit de vote.
La guerre des sexes mettra encore un an à se calmer. Quelques années plus tôt, le landamann Raymond Broger, lʼhomme fort du canton, mʼavait expliqué pourquoi. Il était à la fois président du gouvernement, du Parlement et du Tribunal cantonal. Un roi réélu à mains levées depuis 20 ans. Vous comprenez, mʼexpliquait Broger, les femmes ne sʼintéressent pas à la politique. Leur domaine, cʼest la maison. Et, de toute façon, il nʼy aurait pas assez de place sur le Ring pour les électrices ! Mais un gouvernement à majorité féminine ne suffira pas à résoudre les problèmes de la Suisse.
Traditionnellement, selon des règles non écrites, le gouvernement fédéral est une coalition de sept membres, élus par le Parlement et censée représenter lʼéquilibre des partis. Cʼest ce que les Suisses appellent la concordance. Le système, appelé “formule magique” depuis 1959, nʼa pas trop mal fonctionné pendant un demi-siècle. Par mer calme, tous les marins tiraient à la même corde.
Par gros temps, ça sʼest gâté. Lʼentrée tonitruante au gouvernement, en 2003, de Christoph Blocher, le millionnaire leader de lʼUDC (un parti nationaliste, anti-européen et ouvertement xénophobe) a bousculé le jeu. Son éviction, quelques années plus tard, a “ouvert la boîte de Pandore. Chaque parti se sent désormais libre dʼutiliser la moindre élection partielle pour tenter de modifier la composition du gouvernement. Avec quel argument? Simplement en proposant sa propre interprétation de la formule arithmétique”, explique le quotidien “Le Temps”.
En Suisse, les partis de la coalition entendent contrôler celles et ceux quʼils ont élus au gouvernement. Il nʼy a pas de programme gouvernemental et le président, élu chaque année, nʼa quʼune fonction représentative. La Suisse ne connaît pas le modèle majorité- opposition. Cʼest la démocratie directe qui joue le rôle de “contrôleurs des équilibres”, rappelle “Le Temps”. En clair, comment gouverner quand les partis et les groupes dʼintérêt ont en main lʼarme redoutable du referendum pour sʼopposer à une loi votée par le Parlement ? Il faudra aux quatre femmes du gouvernement et à leurs trois collègues masculins beaucoup dʼintelligence politique et beaucoup de sens de lʼEtat pour retrouver une cohésion, avant les élections fédérales de lʼautomne 2011.