Pendant plus d’une décennie, de 1994 à 2006, Forum Filatelico, la plus importante société philatélique espagnole, et Afinsa, un autre groupe philatélique de la Péninsule, ont attiré de petits investisseurs en leur promettant des taux de rentabilité annuels de 6 à 10 %, supérieurs à ceux du marché financier. 350 000 épargnants ont ainsi acheté des timbres de collection qu’ils ne voyaient même pas.
PAR IAN HAMEL
Les deux sociétés affirmaient les conserver dans des coffres-forts. En fait, soit les timbres étaient surévalués, soit ils étaient faux, soit, enfin, ils n’existaient même pas. Un exemple? Les sociétés philatéliques ont vendu 5541 exemplaires d’un timbre chypriote extrêmement rare, qui n’existe qu’à quelques dizaines d’exemplaires. L’escroquerie, révélée en avril 2006, porte sur 4,5 milliards de francs. L’argent détourné est parti à l’étranger, et notamment en Suisse.
Le Tribunal accepte de collaborer
Dès septembre 2007, la justice espagnole adresse une demande d’entraide judiciaire à Berne. Un juge d’instruction genevois ordonne «la saisie conservatoire des avoirs déposés sur divers comptes bancaires». Le 11 mai 2010, par ordonnances de clôture, le magistrat décide de transmettre la documentation bancaire à la justice espagnole. Seulement voilà, un homme d’affaires espagnol et son épouse, inculpés dans cette escroquerie philatélique, déposent un recours le 16 juin au Tribunal pénal fédéral.
Les juges de Bellinzone, dans un arrêt diffusé le 28 septembre, rejettent le recours. Ils soulignent que l’homme est soupçonné «d’être l’auteur de falsification de timbres officiels et le coauteur d’une vasque escroquerie philatélique au préjudice de dizaines de milliers d’épargnants». Quant à son épouse, elle est suspectée « d’avoir mis à la disposition de son mari les comptes bancaires contrôlés par elle (…) afin d’entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation du produit des infractions reprochées».
Toutefois, Vincent Solari, l’avocat du couple, minimise le rôle de son client dans ce scandale. «Il nie toute implication dans ce mécanisme frauduleux. Il ne veut s’expliquer que sur la qualité discutable des timbres, dont le prix aurait été surévalué», déclare-t-il.
Pas de dédommagement par l’Etat
Cette affaire, relancée grâce à la coopération judiciaire entre l’Espagne et la Suisse, est intéressante à plus d’un titre. D’une part, il s’avère que les timbres n’ont jamais permis une rentabilité de 6 à 10 %. Le système mis en place était celui de la vente pyramidale. Comme l’explique le Tribunal pénal fédéral, cela consiste «à attirer les investisseurs par la promesse de rentabilités supérieures à celles du marché financier; la clientèle attirée par ces promesses ignorait que son argent n’était pas investi, mais servait simplement à payer ce qui avait été promis aux investisseurs précédents». Les organisateurs de la chaîne s’appropriant le solde.
Plus grave pour les victimes, elles ne pourront pas bénéficier de dédommagement par l’Etat espagnol. La vente de timbres n’étant pas considérée comme une «activité financière», Forum Filatelico et Afinsa n’étaient pas assujettis à la réglementation régissant les organismes de crédit. Les biens et l’argent remis ne sont donc pas protégés par des fonds de garantie de dépôts et de garantie d’investissements.