Médias: chapelet de complaintes en marge du Sommet de la francophonie


PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Les vedettes de la marine vaudoise jouaient les… vedettes ce 19 octobre au large de Cully. La ministre Jacqueline de Quattro a voulu profiter de la présence de journalistes étrangers dans le port lémanique pour diffuser le message sécuritaire: les chefs d’Etat seront bien protégés pendant le Sommet de la Francophonie. Dans les ruelles du village, l’armée plaçait ses unités. Médiatiquement parlant, on appelle ça un joli coup.
Le hasard fait bien les choses: c’est justement des relations ô combien délicates entre le pouvoir et les médias qu’il a été question lors du débat organisé à Cully en guise d’apéritif au sommet par l’Association suisse de journalistes francophones. Trente journalistes en provenance du Canada, d’Afrique et d’Europe ont confronté leurs expériences sur le thème de l’indépendance financière des journaux face aux pressions du marketing et de la publicité. Disons-le d’emblée, le tableau qu’ils ont peint est des plus sombres, pour ne pas dire terrifiant. Car la situation de la presse empire partout.
«Les journalistes sont pauvres au sein de groupes médiatiques très riches. Comment vivre de manière digne quand on est mal payé ou pas payé du tout?», s’interrogent des confrères africains. Et de citer les petits cadeaux qui font partie du cérémonial lors des conférences de presse. A Kinshasa, on parle de «coupage» pour désigner des coupures de 10 dollars remises en main propre aux journalistes. A Bangui, on est plus pudique: il s’agit de «frais de transport». Au Bénin, l’expression utilisée est la «somme forfaitaire».
Plus au nord, c’est en Mauritanie que la presse est la plus libre, «cela tient à la faiblesse du pouvoir central. Mais en Tunisie, la filature, les écoutes et autres tabassages sont le lot des journalistes», observe un confrère du Maghreb. «On a la vertu de ses moyens. Les annonceurs savent que les journaux ont faim», lance en écho un journaliste québécois. Résultat: les journalistes arrondissent leurs fins de mois dans les relations publiques.
A l’heure de la convergence, soit la fusion des activités médiatiques, qu’elles soient télévisuelles, radiophoniques, sur smartphone ou internet, la dérive du métier est beaucoup plus insidieuse. Elle fait doublement le beurre des propriétaires de journaux qui utilisent déjà les médias pour arriver à leurs fins personnelles: le rachat d’une équipe de hockey ou la campagne de dénonciation des dépenses publiques, un thème très en vue dans certains milieux économiques. Un journaliste en poste à Bruxelles jette un éclairage troublant sur la pratique récurrente des enveloppes, très en vogue en Asie, surtout en Chine, puissances médiatiques de demain.
De quoi se réjouir de la prochaine conférence de presse d’une banque helvétique dont le principal actionnaire est asiatique? Et à l’Est, du nouveau? La chute du mur n’a rien changé. Dans les médias, les anciens chefs sont restés à leur poste. La crise économique n’a fait qu’empirer la situation, se désole une consœur bulgare. «Du fait des intérêts politico-économiques, la pression est permanente. Dans les Balkans, je ne vois pas d’évolution positive à court et moyen termes», surenchérit un journaliste francophone actif en Albanie.
Face à cette avalanche de complaintes, la poignée de journalistes suisses présents n’a pu qu’offrir le souhait d’une rigueur plus grande dans le cadre des recommandations du Conseil de la presse. En 2007, cet organe avait donné raison à l’Association info-en-danger dont une plainte mettait le doigt sur une tendance inquiétante en Suisse: la collusion entre la publicité et le rédactionnel.
Article paru dans “La Liberté” du 20 octobre 2010

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