Sarkozy et Berlusconi alliés contre Nabucco et l’Europe: Poutine rit


PAR MATTEO ZOLA

Certaines compagnies énergétiques allemandes ont exprimé leur désir de participer au projet South Stream : c’est ce qui ressort de la rencontre Berlusconi – Poutine du 10 octobre 2010.  Les ailes de Nabucco sont de moins en moins dorées et, si les choses continuent dans cette direction, le projet énergétique européen n’ira pas loin.

Nabucco est le nom du gazoduc qui, de la mer Caspienne, devrait approvisionner les Balkans puis l’Italie et l’Autriche. Le but de sa construction est spécifiquement géopolitique : élargir l’influence « occidentale » sur les Balkans et le Caucase. Son élaboration est antérieure à l’adhésion à l’Union Européenne des Balkans. Au départ, il s’agissait de convaincre les pays hésitants à rester dans l’orbite européenne.

Nabucco est né en tant que concurrent du projet russe South Stream. L’idée est de ne plus dépendre de la Russie pour le ravitaillement énergétique, dépendance synonyme de la perte d’une large part de souveraineté. Comment critiquer la diplomatie de Moscou dans le domaine des droits humains si le Kremlin contrôle le robinet du gaz ? Comment s’opposer  à la politique étrangère de Moscou, aux guerres en Tchétchénie et en Géorgie, à l’assaut de l’Arctique, aux ingérences en Ukraine, si on devient esclave du gaz russe ? Et encore : comment affirmer l’autonomie européenne face à une double vassalité, militaire du côté américain et énergétique du côté russe ?

Berlusconi et Sarkozy à la cour du tsar

Toutefois les Européens ont investi peu et mal sur Nabucco. L’Italie et l’Eni (la société nationale italienne pour les hydrocarbures, n.d.r.) ont été les premières à évaluer que le projet européen n’était pas prometteur, elles se sont vendues au rival russe. Eni et Gazprom sont devenus partenaires pour la construction de South Stream, n’en déplaise au Nabucco européen. L’Italie préfère être en affaires avec Poutine et le colonel Kadhafi. Le gâteau russe cependant ne fait pas seulement envie aux Italiens : Edf (Electricité de France) entre dans la joint-venture en compagnie de Gazprom et de l’Eni. En juin dernier, Nicolas Sarkozy s’est envolé à Saint-Pétersbourg, à la cour du tsar, pour conclure l’affaire.

L’Allemagne et le chancelier bleu

Mais ce sont désormais les Allemands qui veulent participer à la grande bouffe. « Très bien », s’exclame Berlusconi en visite chez l’ami Poutine : de cette façon il sera possible susciter l’intérêt de l’Union Européenne, à ce jour  froide à l’égard de South Stream. Les Allemands, il faut le dire, sont déjà partenaires de Gazprom pour la construction du gazoduc North Stream, qui contourne les républiques baltes et la Pologne (« coupables » de ne pas aimer suffisamment la Russie) et va directement en Allemagne. Un projet entrepris déjà au début du millénaire par le chancelier allemand Schröder, devenu entretemps un dirigeant de Gazprom et responsable du consortium North Stream ; celui à cause duquel la Pologne craint un nouveau pacte Molotov – Ribbentrop.

Poutine : « Nabucco est un tube vide, que Dieu les aide »

Selon des rumeurs insistantes, Basf sera la société énergétique allemande prête à rejoindre les trois mousquetaires Gazprom, Eni, Edf. Un énième coup porté au projet Nabucco pour lequel la Banque européenne d’investissement (Bei) et celle pour la reconstruction et le développement (Berd) viennent d’allouer 4 milliards d’euros, signe que l’affranchissement énergétique de l’Europe de la Russie est considéré prioritaire à Bruxelles.

A noter que Nabucco part de Turquie, de Erzurum, après avoir été ravitaillé par l’Iran à partir de Tabriz. A Erzurum il rejoint le bras qui arrive de Baku et passe par Tbilissi. Ensuite il se dirige vers Ankara, Istanbul et l’Europe. Le gouvernement italien a toujours été très dur envers le régime des ayatollahs et a été favorable à l’intervention militaire américaine ; par ailleurs, pour des raisons qui sont maintenant claires, il n’a jamais rien dit sur le massacre en Tchétchénie.

De plus, les partenaires de Nabucco sont en train de tourner casaque : l’Azerbaïdjan s’est rapproché de Moscou qui a promis protection et argent au régime de Baku. Le Turkménistan, autre dictature, vient d’entrer en partenariat avec l’Eni et Gazprom et vise à ravitailler la Chine plutôt que l’Europe. L’Iran – du fait de l’embargo américain – est très en retard dans le développement de ses gisements.

Il ne reste plus qu’à savourer l’ironie de Poutine : «  Dieu les aide », a-t-il déclaré. « Nabucco est un tube vide et le consortium qui le développe (l’autrichien Omw, le hongrois Mol, le roumain Transgaz, le bulgare Bulgargas, l’allemand Rwe et le turc Botas, n.d.r.) ne fournira pas de gaz jusqu’en 2018, au contraire de South Stream qui sera prêt dans un an ». Bruxelles est au moins averti.

Article repris de East Journal

Traduction: Daniela Piazzalunga

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