Haïti, cimetière aigreur, cimetière couleurs

PAR SYLVIE GARDEL

Nous y sommes. Dimanche, le peuple haïtien devrait savoir si ses espoirs de rupture et de changements seront satisfaits. Mais, d’ici là, tout peut encore arriver. Et ce n’est rien de le dire ou de l’écrire concernant un pays où la Constitution et sa cohorte de lois ne sont édictées que pour satisfaire les critères théoriques internationaux de démocratie. Ici, personne n’en est dupe. Toutes les écoles du sud de PaP sont de ce fait fermées dès aujourd’hui jusqu’à mercredi prochain. Et au plus tard vendredi, la même mesure sera appliquée à l’ensemble des établissements scolaires du pays. C’est tout dire…

Beaucoup d’hélicoptères déjà dans le ciel de PaP en ce matin plus que frais et venteux. Au rang des nouvelles, les enfants kidnappés, apparemment détenus sous une tente à Kenscoff, un repère de taupes au sein de la police, ont été relâchés vendredi dernier. La rançon versée n’a été finalement que de 20’000 dollars. Toutefois, l’affaire sent le souffre et d’aucuns parlent désormais d’un enlèvement organisé…

Quant à l’épidémie de Choléra, il n’y a d’autres mots que “catastrophe humanitaire”. 1000 nouveaux cas par jour, et rien n’a réellement changé au niveau des conditions sanitaires du peuple haïtien. Faute de choix, ceux-ci continuent à faire leurs besoins partout (dans les rivières, sur les trottoirs, dans les rizières, etc.) pendant que d’autres se lavent, font la lessive et puisent de l’eau aux mêmes sources.

A Kenscoff encore, deux Haïtiens ont été lapidés, au sens propre du terme, par la population ce we. Ces deux ignobles individus ponctionnaient les liquides des morts du choléra pour les injecter dans les immenses matelas gonflés d’eau que les ONG mettent à disposition des habitants des camps…

Lire l’excellent article de la journaliste haïtienne en exil Nancy Roc “Le Choléra et la loi de l’Omerta” paru dans le Nouvelliste en fin de semaine dernière:

Au centre de Pétion-Ville, il y avait un cimetière dont l’utilisation avait déjà été stoppée avant le séisme en raison de la pollution (!) que généraient les inhumations. La mairesse de Pétion-Ville, Claire-Lydie Parent, dans l’un de ses nombreux éclairs de génie, a décidé de le déplacer et de convertir cet espace en gare routière. Un projet apparemment sensé au milieu d’une agglomération si fréquentée, bien qu’il n’existe aucune infrastructure de ce genre dans tout le pays. Les démolisseurs achevèrent le travail du séisme. Depuis, c’est un terrain vague, faute de fonds, qui sert de latrines à ciel ouvert aux dizaines de dizaines de marchandes et de passants qui s’agglutinent sur les trottoirs, de décharge publique et de parc à bestiaux dont seuls les porcs se réjouissent. Le tout au milieu d’ossements de cadavres non récupérés par les familles lors du déblaiement du cimetière… Encore appelé “le cimetière” faute de réaffectation, cet immense cloaque porte, malheureusement, bien son nom…

En parlant de cimetière, j’ai visité celui qui se situe près de Soisson-la-Montagne (Photo: Sylvie Gardel). Un modeste cimetière décoré par les paysans de la région regroupés sous le collectif de Saint-Soleil, en hommage à l’astre solitaire qui intimide tant Zaka, le dieu paysan chez les vaudouisants. Une expérience picturale originale qui a pris corps en 1971. A cette époque, les peintres Maud Robbart Gerdes et Jean-Claude Garoute, dit Tiga, incitent un groupe de paysans à développer leur sens artistique par la peinture, la sculpture, le théâtre et le chant. Le groupe initial, formé de Levoy, Louisiane Saint-Fleurant, Denis Smith et Prospère Pierre-Louis, prend le nom de Saint-Soleil et s’adonne à une peinture qui se démarque de celle dite naïve, pour constituer une forme d’art sacré (ils sont vaudouisants) très libre. Les artistes “peignent comme il leur plaît ce qu’ils ne représentent pas”, raconte André Malraux qui visite le lieu en 1975. Ils tiennent leur première exposition au musée d’Art haïtien en 1974. En 1976, Malraux meurt et les peintres lui rendent hommage à Nancy au Festival mondial de théâtre. Victime de son succès, le groupe éclate à la fin des années 1980. Aujourd’hui, il ne reste plus à Soisson que les sculptures du cimetière, qu’ornèrent les artistes, et la “légende de Malraux”…

Article repris du site Tounen nan peyi natal

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