Lettre de Lima à un ami lecteur (I)


PAR PIERRE ROTTET, LIMA

Or donc, me voici à Lima, dans cette immense mégapole péruvienne, dans laquelle j’apprivoise mes premiers mois de retraite. C’est vrai, j’ai fui l’hiver, pour vivre l’automne de ma vie. A l’orée de ma nouvelle carrière. Reste que je n’ai pas seulement voulu échapper à l’hiver. A la vérité, je n’avais plus envie de subir les bouchons de l’avenue de la Gare, à Fribourg, ceux de Pérolles aux heures de pointes. Pour ne parler que de ces endroits. Bon d’accord, ici, à Lima, les bouchons sont bien plus monstrueux. C’est oublier qu’il y dans cette ville 200 fois plus d’habitants. Et puis, maintenant, pourquoi le cacher: je prends mon temps. Pas comme lorsque je venais en vacances dans cette même ville. Tu m’diras, avec ton bon sens, que je vis des vacances perpétuelles maintenant. Pas d’accord. Même en vacances tu vis stressé, vu que le temps pour ton farniente t’est compté. Tu piges la différence?

Oui, je prends le temps, d’ouvrir les yeux, d’observer ce monde vivre. C’est pas que je veux te faire envie, en te racontant le soleil qui illumine ce printemps. Prémisses d’un été prometteur… dans un peu plus d’un mois. C’est ce que je venais chercher d’ailleurs. Et si, ce qui m’étonnerait, il me prenait d’avoir la nostalgie des froideurs hivernales, des neiges et des gelées, il me reste les posters placardés sur les murs de l’ambassade de Suisse à Lima. Sans mentir, rien qu’en les regardant, tu t’les gèles. Tu vois, il y a des solutions à tout.

J’ai encore deux ou trois choses à te dire. Encore une fois pas pour te faire envie, je te l’assure. De mon balcon, où un bougainvillier est au plus fort de sa floraison, plein de couleurs, on entend, avec un peu d’imagination, et c’est pas ce qui me manque, tu sais, les vagues de l’Océan Pacifique à quelque deux kilomètres à vol d’oiseau de ma chaise, de ma table où repose un verre. L’apéro, pour ne rien te cacher et ne pas perdre les bons réflexes de ces moments conviviaux. En exagérant à peine, des odeurs de poissons de mer me parviennent. Même si mon regard doit se contenter d’un parc porteur des fleurs de la création. Et de deux immenses palmiers, qui s’élancent pour à peine bouger, victimes de la brise. Tu vois, ici les choses bougent.

Et plus que tu ne le crois. Avec ce train surélevé en construction, commencé il y a 20 ans. Et qui devrait rouler d’un bout à l’autre de la ville dans une dizaines de mois. En t’écrivant, tu pensais que je te raconterais des trucs pleins de misères, d’embrouilles, des cas de corruptions. Bref, de ces reportages qui font parfois dire aux lecteurs: « ce qu’on est bien chez nous ». Là, tu t’es trompé. Tiens toi bien, j’ai même vu des sémaphores intelligents, comme ils disent. Qui égrainent les secondes pour passer au vert. Ou au rouge. Alors, comme j’ai le temps, je me mets à faire comme tout le monde. J’attends. Et si je te disais qu’il y a des bus qui ne s’arrêtent qu’aux endroits prévus pour laisser monter et descendre les passagers. D’accord, ils sont peu nombreux. Et c’est tant mieux. Lima sans ses milliers de bus ne serait plus tout-à-fait cette ville que j’aime. Cette merveilleuse anarchie, où les transports publics te chargent là où tu en fais la demande d’un simple signe. Pour s’arrêter à l’emplacement même où tu l’indiques. Pas deux ou trois mètres plus loin. Qui te ferait marcher un peu. Non. Pile poil là où tu le veux. A propos de bus, l’autre jour, dans l’un de ceux-ci, un « cobrador » le gars chargé d’encaisser ton passage, était plus occupé à téléphoner qu’à faire son boulot. On lui demandait un rendez-vous. Sa p’tite copine, sans doute, vu le ton enjoué. « Impossible ce soir », affirmait-il, « je bosse jusqu’à minuit. Samedi? Non plus. j’ai un examen à l’Uni ». Tu vois, le mec, il avait commencé son boulot à 11 heures du matin pour s’arrêter 13 heures après. Et il trouvait encore le temps de poursuivre ses études. Tu commences à piger pourquoi j’aime ce pays. Et ces gens qui ne se résignent pas à subir.

Attends! J’ai gardé le meilleur pour la fin. Pour la faim, devrais-je dire, avec ce clin d’oeil gastronomique. Hier, je me suis attablé dans un de ces innombrables petits bistrots populaires, où trônait une grand-mère qui ne fait que restituer ce qu’elle a appris de mieux: la cuisine. Façon recette de naguère. « Papacito », m’a-t-elle dit, ce qui tendrement veut dire petit papa, ce qu’on dit aux personnes qui prennent de l’âge sans s’en apercevoir, comme tu le sais, « papacito, donc, m’a-t-elle confié, je te propose une « causa » pour l’entrée, du thon enveloppé d’une purée de pomme-de-terre très jaune, bien relevée et garnie, avec ensuite un « ceviche », tu sais, ce poisson qui cuit dans son jus de citron. Bien piquant, c’est une fameuse merveille. Et je ne te parle pas des poulets à la braise. Rien que pour cela, le voyage ici vaut la peine.

Tiens, à propos de voyage… Comme tu ne le sais peut-être pas, en avril prochain, une trentaine ou presque de copains des vétérans de Matran vont débarquer à Lima, pour me rendre visite. Enfin…pas seulement… Une sacrée virée dans les lieux historiques de ce pays. Pas uniquement. Tu me crois, si je te dis que deux parties de foot sont au programme. J’te dis pas l’expectative, que dis-je, l’engouement, les passions que cela déchaîne ici. Tu vois, j’en ai organisé des matches de foot avec l’équipe de mon quotidien préféré. Gagnés, tous ou presque par “La Lib”. Mais des parties de l’autre côté de l’Atlantique, jamais. Dis, tu m’vois aller vers le réd-en-chef pour lui dire que j’ai organisé une rencontre amicale à Lima? Qui le priverait d’une partie des ses meilleures plumes pendant plusieurs jours? On se contentera de gagner la 10e édition de la Coupe Impressum, en juin prochain. Que je tiens à disputer dans cet été fribourgeois retrouvé. Pour un temps seulement.

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