L’année 2010 est passée, et Marcel Ospel n’a toujours pas fait un jour de prison


PAR PIERRE KOLB

On n’y pense plus, d’ailleurs, on s’est habitué. Depuis qu’en 2008 il a dû partir en courant de son bureau directorial de l’UBS, il a été question de le traîner en justice, lui et sa clique, puis il a été question de ne pas le faire, puis de nouveau de le faire, tout un cinéma qui sert à endormir le bon peuple. On a connu des scénarios similaires avec des dictateurs, et c’est même la comparaison qui permet de ne pas considérer cette affaire bancaire comme définitivement enterrée, et c’est pourquoi il faut la rappeler de temps à autre. A l’instar de ce que l’on a vu parfois avec des dictateurs, des retournements sont possibles, il ne faut pas désespérer. La notion de criminel en liberté est relative.

Cela n’enlève rien au scandale de l’impunité actuelle de ces gens, qui peuvent se dire que les lois sont bien faites. Ou ceux qui les appliquent bien éduqués. Ces gens peuvent ainsi se faire oublier. Leur ancien employeur y contribue, qui a détourné l’attention en lançant une belle campagne de pub, tout en harmonies, expliquant qu’à l’UBS on était devenu gentil-gentil. Bon, cette campagne de pub a eu un couac, ce détail lié au passé sulfureux de Le Corbusier, mais ce n’était pas vraiment une affaire, juste un malheureux détail. Et depuis l’UBS soigne les détails, jusqu’à se soucier de la couleur des slips de ses employées.

Mais parlons d’autre chose. Par exemple des vrais événements de 2010, de ces choses croustillantes comme l’approbation de l’expulsion automatique des criminels étrangers. On ne l’a pas encore oubliée, celle-là, encore qu’un brin d’amnésie ait commencé à l’envelopper. Avant le vote, il était régulièrement observé que cette initiative est inapplicable. Mais le résultat du scrutin était à peine tombé qu’oubliée l’inapplicabilité, on a déclaré vouloir l’appliquer dans les meilleurs délais.

C’est peut-être une preuve que les lois sont bien faites. Non seulement elles protègent les criminels de la finance, mais la législation qu’il faudrait rédiger après le vote populaire du 28 novembre sur l’expulsion automatique, ça promet: puisqu’il faudra mettre en musique, si l’on ose dire, l’exact contraire de garanties figurant dans la constitution fédérale et la convention des droits de l’homme. Une commission est prévue à cet effet, où l’UDC sera représentée. On leur souhaite bien du plaisir.

Voilà de quoi faire le début d’une liste de voeux pour 2011, mais si l’on énumère toutes les crottes qui agrémentent notre horizon politique, on n’en finira pas. Cette affaire de l’expulsion automatique suffit à notre appétit. Constatons déjà que le pronostic, s’agissant du groupe de travail attelé à la mise en œuvre de l’initiative UDC, ne peut être que réservé. Sa mission est parfaitement contradictoire.

Certes, appliquer un article constitutionnel tout en ne l’appliquant pas n’est pas vraiment nouveau en Suisse. Voyez le cas tout différent de l’Initiative des Alpes, cas différent en tout sauf que lors de ce scrutin populaire en 1994, on considérait aussi les propositions comme inapplicables, et que l’on s’est aussi attelé à les appliquer à peine le résultat du scrutin tombé.

Néanmoins, les exigences de transfert de la route au rail, qu’il aurait fallu selon l’initiative satisfaire jusqu’en 2004, ont induit des objectifs qui ne sont pas atteints aujourd’hui, six ans après ce délai. Il est vrai, la plupart des mesures fédérales prises en matière de transports vont dans la direction donnée par cette initiative. N’empêche, avec une impressionnante souplesse dans l’interprétation.

Moins récent, le cas de l’assurance maternité nous avait donné à connaître un mandat constitutionnel que, pendant plus d’un demi-siècle, on n’a tout simplement pas exécuté. Et dont l’application actuelle est pour le moins maigrichonne.

On voit bien que la légalité, dans ce pays qui ne manque pourtant pas de juristes pointus – ou peut-être à cause de ça – on voit bien que la légalité est une notion sujette à appréciations fluctuantes. Peut-on dans ces circonstances espérer que l’initiative de l’expulsion automatique soit interprétée avec une souplesse telle que les droits de l’homme seraient tout de même respectés? Le pire est au contraire à craindre. D’abord parce que dans cette affaire les ayatollah ne sont pas au sommet des minarets, mais à l’UDC, à Zurich particulièrement, où Qui vous savez continue de sévir. On peut compter sur eux, en cette année électorale, pour faire un foin pas possible à la moindre tentative de mettre un peu d’eau dans ce vinaigre. Ensuite parce que les exigences d’expulsion énoncées ne sont pas malléables. Des conflits sont de ce fait inévitables. Les formulations d’exécution seront-elles tarabiscotées au point d’escamoter, de prime abord, les contradictions? On le voudrait bien dans l’idée d’éviter le pire, mais au risque évident de reporter les difficultés sur les exécutants. Il vaudrait d’ailleurs mieux que tout ce processus traîne en longueur, dans l’attente de le voir aboutir sous un climat plus favorable. Seulement Simonetta Sommaruga a eu l’imprudence de s’engager à faire diligence. A elle aussi, souhaitons bien du plaisir.

Décidément, cette actualité n’aide pas à formuler des voeux. Bonne année, tout de même, il n’y a pas que la politique suisse dans la vie.

Article publié sur le site Courant-d’Idées

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