PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE ET SID AHMED HAMMOUCHE
Le Tamiflu est-il la panacée, un remède génial contre la grippe, ou une invention de spécialistes du marketing? Face aux pandémies, il n’est plus un gouvernement qui ne recommande pas ce médicament vendu par la multinationale Roche. Le groupe pharmaceutique bâlois engrange, bon an mal an, 1 milliard de francs grâce aux ventes de cet antiviral. Pourtant, ce produit développé à la fin des années 90 par un laboratoire américain s’est avéré longtemps un flop magnifique. Il a fallu attendre 2005 et la pandémie aviaire pour qu’il décolle avec la bénédiction de l’OMS.
Par quel miracle un médicament cher et qui n’avait rien de révolutionnaire, aux dires des experts, a-t-il pu se transformer en une telle mine d’or? Dans une enquête qui les a menés du Japon à l’Angleterre en passant par l’Italie et la Suisse, trois journalistes suisses (sur notre photo DR: Serena Tinari) ont remonté la piste du Tamiflu. Les conclusions qu’ils révèlent dans une émission diffusée en avant-première à la télévision tessinoise, démontent bien des idées reçues et montrent une claire collusion d’intérêts entre l’industrie et les pouvoirs publics chargés de la surveillance de la santé.
Serena Tinari, vous êtes journaliste et vous avez participé, avec Harry Häner et Reto Padrutt, au documentaire sur le Tamiflu. A un moment, dans votre reportage, on entend un expert du Massachussets Institute for Technology déclarer que le Tamiflu n’a guère plus d’effet que l’aspirine. Il s’agit quand même d’un aveu terrible, non?
Serena Tinari: Oui, et il est confirmé par les déclarations de la directrice du «British Medical Journal» qui le compare, elle, au paracétamol.
Il n’est pas exagéré de parler de supercherie. Comment expliquer qu’il ait fallu attendre 2011 pour le savoir?
Je dirais que le problème vient de nous, les journalistes. Tout le monde savait que le Tamiflu n’était pas la panacée, mais cela n’a pas empêché les médias de tartiner sur ses présumés effets miracle quand la pandémie aviaire s’est déclarée, en 2005. Le manque de transparence est aussi en cause. Le mécanisme pro-Tamiflu s’emballe à partir du moment où les milieux officiels intègrent dans leurs données les résultats d’une recherche du virologue genevois Laurent Kaiser, financée par Roche. Selon cette étude, le Tamiflu réduit de 55% les complications bactériennes d’une grippe. La paranoïa ambiante aidant, on a commencé à stocker des milliards de doses de Tamiflu. Les plus zélés étaient les Américains.
Oui, mais à un moment donné, il y a le grain de sable qui vient du Japon…
Des enfants à qui l’on a administré du Tamiflu ont présenté des symptômes de folie, allant jusqu’au suicide. Ces effets collatéraux étaient connus grâce aux Japonais. Tokyo a décidé alors d’interdire le Tamiflu aux personnes dont l’âge se situe entre 10 et 19 ans. Un procès est en cours contre le gendarme pharmaceutique, l’équivalent japonais de Swissmedic.
Il n’y a pas eu de conséquences néfastes en dehors du Japon?
Des troubles neuro-psychiques ont été constatés dans de nombreux pays, peut-être même toutes les régions où est distribué le Tamiflu. Ce n’est donc pas seulement un problème japonais.
Roche risque-t-il des poursuites au Japon?
C’est l’aspect le moins glorieux de l’histoire. La pratique montre une impunité dans ce genre d’affaires car il est toujours difficile d’établir un lien de causalité entre la prise d’un médicament et des effets secondaires. En plus, les victimes hésitent à faire un procès car il s’agit d’une procédure très longue et coûteuse. Pour parvenir à la preuve, il faudrait que l’on administre une nouvelle fois le produit contesté à une personne ayant déjà subi des effets collatéraux. Pour des raisons éthiques, cela est impossible, bien sûr.
Quel rôle a joué la communauté scientifique, en particulier l’OMS?
Le système est pourri. Sinon comment expliquer que personne n’ait jamais dit clairement que le Tamiflu n’a rien de révolutionnaire? Le problème de Swissmedic est que cet organisme de surveillance est financé à 80% par l’industrie. Contrôleur et contrôlé sont trop proches. On ne peut pas dire que le premier soit corrompu, il fait plutôt du bon boulot. Mais ses moyens sont limités, faute de ressources. De l’autre côté, il est clair que l’intérêt de l’industrie est de vendre et de promouvoir le produit, quitte à assurer qu’elle agit en même temps en tant que bienfaitrice de l’humanité.
Les pandémies ne vont certainement pas en rester là. Va-t-on encore nous refaire le coup du Tamiflu?
C’est sûr! Vous pouvez être certain que l’on va ressortir le Tamiflu lors de la prochaine épidémie ou pandémie, qu’elle s’appelle grippe du chat ou de la tortue jaune. Le marketing de l’industrie pharmaceutique a transformé la grippe en un monstre que l’on ne veut plus soigner à la maison avec les bons vieux remèdes à papa. Pour cette même industrie, l’enjeu en vaut certes la chandelle. Depuis la commercialisation du Tamiflu, Roche a engrangé 12 milliards en termes de chiffre d’affaires. Cela dit, il serait tout de même légitime de mettre en balance les intérêts. S’il est avéré que tous les médicaments ont des effets secondaires, il n’est pas interdit de se poser des questions. I
«L’influence des affaires – La saga du Tamiflu» sera diffusé par la RSI le 13 janvier 2011 à 21 h dans le cadre de l’émission d’investigation “Falò”
Interview parue dans “La Liberté” du 13 janvier 2011.
Cette maladie gagne du terrain en Suisse, mais Daniel Koch, responsable de la Division maladies transmissibles à l’OFSP, déclare à l’agence ATS que le virus A/H1N1 est «relativement inoffensif» et peut être traité comme n’importe quel autre virus de la grippe. Les précautions ne concernent que les groupes à risque, qui devraient se faire vacciner, a-t-il souligné.
Aujourd’hui, la Suisse, comme une grande majorité de pays occidentaux, a cessé de recenser et de déclarer les cas d’infection au virus A/H1N1. De nombreux pays ont également décidé de réduire leur stock de Tamiflu. SAH/CC