Une implacable bataille est en cours au Caire pour conquérir lʼopinion et influencer les gouvernements. Une bataille dʻimages que vous regardez chaque jour sur lʼécran de votre téléviseur ou de votre ordinateur et à la une de vos journaux. Et cette guerre est nourrie par les réseaux sociaux.
Bien sûr, ce ne sont pas Facebook, You Tube ou Twitter qui ont persuadé les Egyptiens de descendre dans la rue pour manifester sur la place Tahrir, en risquant la violence, la prison ou la mort. Mais ces médias sociaux ont accéléré la révolte et ils ont permis de lʼorganiser. Sans eux, peu dʼEgyptiens auraient su quʼune manifestation était prévue le 25 janvier ou auraient eu le courage dʼy participer.
Parmi les activistes égyptiens qui ont utilisé les réseaux sociaux pour allumer la mèche de la révolte, dans les mois précédents le 25 janvier, figure le directeur du marketing de Google pour le Moyen-Orient, Wael Ghonim, selon “The Wall Street Journal”. Sur sa page Facebook, Ghonim a écrit, deux jours après le début de la révolte : “Jʼai dit il y a un an quʼInternet changera la scène politique en Egypte et quelques-uns de mes amis se sont moqués de moi”. Ghonim a notamment créé le site Internet dʼun des leaders de lʼopposition, Mohamed ElBaradei, lʼancien directeur de lʼAgence internationale de lʼénergie atomique, quʼil soutient publiquement. Toujours selon le quotidien américain, la page créée par Ghonim sur Facebook “a joué un rôle clef dans lʼorganisation des protestations dans plusieurs villes où les manifestants ont dénoncé la brutalité de la police, un problème largement répandu en Egypte. Cette page est progressivement devenue un large forum pour les critiques contre le gouvernement égyptien. Au fil des mois, elle a rassemblé des centaines de milliers de membres”.
Pour les manifestants de la place Tharir, Ghonim est un héros. Pour le gouvernement du Caire, il est devenu une menace. Certains journaux égyptiens lʼont même traité de traître à la patrie. Surtout depuis quʼil a écrit sur Twitter quʼil irait à la manifestation du 25 janvier, “malgré les mises en garde que jʼai reçues de mes parents et de mes amis”. Il a même ajouté : “la révolution peut être sur Facebook un événement relayé par Internet, partagé et envoyé par Twitter”. Mais, le 28 janvier, le jour de la plus gigantesque manifestation, Ghonim écrivait ce tweet prémonitoire : “Priez pour lʼEgypte. Nous sommes tous prêts à mourir”. Le même jour, il a disparu, probablement arrêté par la police.
Facebook, You Tube et Twitter ont aussi alerté les journalistes. Quand des milliers de manifestants ont réclamé le départ de Moubarak en criant un slogan déjà entendu en Tunisie – “Dégage” – les médias du monde entier se sont rués au Caire pour filmer la “kermesse de la liberté”. Et les grandes chaînes de télévision – CNN, BBC, ZDF, TF1, Al-Jazeera – ont transmis en direct la “révolution” du Caire. Même si la révolte paraît spontanée, sa mise en scène est réglée de main de maître. Les premiers jours, on nous a montré des hommes jeunes, enthousiastes, brandissant des pancartes en arabe et en anglais, à lʼintention des équipes de télé. Peu de femmes et pas de barbus. Et des témoignages émouvants, en arabe et en anglais, dʼEgyptiens “de la rue”. Un message simple : tout le peuple se soulève, pas de partis, pas de religions, tous Egyptiens.
Depuis quelques jours, les femmes ont afflué sur la place Tahrir et les Frères musulmans nʼhésitent plus à manifester publiquement. Bataille dʼimages encore quand les partisans du Raïs ont attaqué les manifestants sur la place Tahrir. Montés sur des chameaux ou des chevaux, armés de longs bâtons, ils ont affronté la foule. Pendant des heures, ces images des violences ont repassé en boucle. Les images de manifestations violentes, de répression et de chaos se vendent bien, à la télévision. Et elles ont un violent impact émotionnel, surtout auprès du public qui ne prend pas le temps de lire les reportages et encore moins les analyses des experts. Les images ne disent pas forcément la vérité, mais elles influencent notre opinion. Le gouvernement égyptien a senti le danger : il a coupé les liaisons Internet et les téléphones mobiles, il a bloqué Twitter et Facebook et ses nervis sʼen sont pris aux journalistes occidentaux, accusés de soutenir la révolte populaire. Trop tard.
Comme lʼécrit E.B. Boyd dans le magazine américain en ligne “FastCompany“: “Trop dʼinformations sʼéchappaient du pays. En partie à travers les médias. Mais aussi sur You Tube. Et particulièrement via Twitter. Un flot apparemment sans fin de détails sʼécoulait, sʼorientant à tort ou à raison en faveur des manifestants et donnant lʼimpression quʼune vraie révolte se déroulait.” Les réseaux sociaux nʼont pas seulement organisé les manifestations. Ils ont aussi contribué à mettre en forme le récit des événements. Boyd explique que quand les pillages ont commencé au Caire, lʼopinion aurait pu tourner en faveur du gouvernement: les hooligans mettaient à sac la ville, il fallait restaurer lʼordre. Mais grâce à Twitter, les journalistes ont appris que des groupes de vigilance avaient arrêté des policiers déguisés en pillards. Et la télévision a même montré les cartes dʼidentité de ces policiers. Vrai ou faux, impossible à vérifier. Mais évidemment, cela donnait un autre sens aux pillages. Une image vaut mieux que mille mots!
Comme lʼécrit “The Washington Times” : “Les troubles politiques qui explosent au Moyen-Orient sont la dernière illustration que les médias sociaux ne sont plus seulement un moyen pour les adolescents dʼenvoyer des tweets sur leur vie, de faire des jeux et dʼenvoyer des photos de leur dernière fête. Aujourdʼhui, ces réseaux ont le pouvoir de secouer les régimes et de chasser du pouvoir les leaders”.