On attend…


…Que la situation en Libye se décante, si l’on ose dire. Que la dénommée «Communauté internationale» ait précisé ses intentions. Qu’au Palais fédéral un discours digne domine la glauque cacophonie ambiante.

PAR PIERRE KOLB

Digne, Simonetta Sommaruga l’a certes été lorsqu’elle a rappelé, abordant l’hypothèse de vagues migratoires liées aux troubles nord-africains, «qu’il y aura, parmi ces émigrés, des personnes ayant besoin de protection»; lorsqu’elle a évoqué «la nécessité de ne pas avoir que des inquiétudes, mais aussi de démontrer notre solidarité avec les peuples qui souffrent et se battent pour la démocratie».

Ouf! Mais la voix de la conseillère fédérale a quelque chose de fluet. En revanche, depuis que tout se soit mis à tanguer en Afrique du Nord (mais encore: depuis que le peuple libyen est exposé à la folie meurtrière active de son dictateur) il a fallu continuer d’entendre la litanie des proclamations sécuritaires, hors de propos. Entre autres, des voix autorisées de l’administration fédérale ne nous ont épargné ni les coups de machoire sur la nécessité de poursuivre les renvois de «réfugiés économiques», ni la hantise d’un afflux massif. Cet afflux décrété inévitable, et de ce fait, vu déjà comme arrivant. Et l’UDC de ponctuer cette mauvaise musique en réclamant l’armée aux frontières. Roulez tambours!

C’est maintenant qu’on devrait canaliser ces gens dans un champ pour une pseudo Landsgemeinde, et leur distribuer des hallebardes, histoire de les faire taire.

Les déclamations en cause sont hors de propos dans la mesure où les déplacements de populations déjà perceptibles aux marches de la Libye ne posent plus le problème en termes de réfugiés économiques, mais de gens victimes de troubles. Hors de propos aussi parce que l’orientation de ces exodes n’est pas, de prime abord, européenne. Et s’il devait se faire – on peut s’y attendre – qu’une partie d’entre eux soient amenés à frapper à nos portes, des mesures exceptionnelles d’accueil se justifieraient, à l’instar de ce que l’on a connu lors d’autres crises internationales, qui avaient permis d’expérimenter les pratiques d’admissions provisoires.

Cette manière d’envisager les choses semble heureusement admise de la gauche à la droite démocrate, qui résiste aux dérives sécuritaires de l’UDC.

Ceci dit, un silence mou est perceptible du côté des partis bourgeois, démocrates-chrétiens, libéraux et radicaux, face aux aspirations démocratiques de la rue arabe. Sans doute trop absorbés par la préparation de leurs röstis électoraux, les caciques n’ont manifestement pas envie d’en débattre. La gauche sauve l’honneur. C’est, au premier chef, l’intervention socialiste en vue d’un débat aux Chambres fédérales. Sa tonalité mérite d’être soulignée, à voir le groupe socialiste «saluer avec joie», en Afrique du Nord, «le triomphe de l‘aspiration à la liberté sur des structures étatiques autoritaires et corrompues». Ce que ces révolutions donneront à terme, on ne le sait pas. Mais l’accent mis ici sur l’apport positif de ces révolutions contraste avec la prudence frileuse des formations de droite. Les Verts, de leur côté, ont su réagir en appelant notamment à «un généreux engagement de la Suisse sur place en faveur des populations et des réfugiés».

Selon les informations qui nous parviennent, la Libye est plongée dans un début de guerre civile. Ce qui fait bien comprendre l’urgence à offrir une aide humanitaire sur place. On nous dit que les Affaires étrangères sont déjà à pied d’oeuvre. Tant mieux.

On sait par ailleurs qu’au large de la Libye, des bâtiments de guerre de toute provenance patrouillent. Sous quel commandement? L’ONU n’a pas encore pris de décision. Aucune coalition ne s’est constituée, qui expliquerait que se croisent des pavillons militaires européens, américains, chinois, sudcoréens… C’est un peu l’illustration de «La communauté internationale», concept ambigu de plus en plus souvent utilisé par les médias. L’attente, ici, porte sur la nature et la légitimité des interventions en préparation. Attente et interrogations, quelque peu en contradiction avec les impérieux besoins d’aide découlant du développement dramatique du conflit dans le pays-même.

Sur le plan suisse, ces événements révèlent encore des problèmes annexes qui ne le sont pas tant que ça. Le Conseil fédéral a fait preuve lors de ces événements d’une inhabituelle célérité, s’agissant du blocage des avoirs des dictateurs déchus. Inhabituelle et louable célérité qui, paradoxalement, met en lumière le fait que ces tyrans avaient pu mettre à l’abri, en Occident, des biens représentant des sommes astronomiques. Là est la grande anomalie, qui justifierait de renforcer la législation sur le blanchiment d’argent.

Deuxième question annexe, celle des exportations d’armes qu’il s’agit d’interrompre au plus vite où il le faut. Pareilles dispositions sont il est vrai dérisoires compte tenu des exportations qui ont été autorisées jusqu’ici. Le vieux débat est relancé de lui-même, en dépit de la difficulté, que les chapitres précédents ont illustrée, de faire prendre de bonnes mesures dans ce domaine. Il reste important qu’on en reparle, du blanchiment et des exportations d’armes. Cela pourrait revenir sur le tapis lors du débat parlementaire agendé au 16 mars. Attendons donc.

Article paru sur le site Courant-d’Idées

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