Portrait de Nikolett Mohácsi: militante rom hongroise


Le journal en ligne hongrois HU-lala a rencontré Nikolett Mohacsi, une jeune militante pour les droits des Roms de Hongrie, à l’origine d’un projet d’ONG dédiée à la résolution des conflits : «Mediátor Foundation».

PROPOS RECUEILLIS PAR CORENTIN LEOTARD

Nikolett appartient à une élite rom encore balbutiante, mais qui émerge néanmoins et qui tente de donner de la visibilité et de résoudre les problèmes spécifiques rencontrés par la minorité rom hongroise. Si elle confesse qu’elle ne souhaitait pas suivre la voie de ses sœurs, toutes impliquées en faveur de la déségrégation des Roms, car « il n’était pas dans sa personnalité d’être un leader », aider sa sœur au sein de Chance for Children Foundation (CFCF), lui a donné l’envie de s’engager elle-même. Parallèlement à un stage au European Roma Rights Centre (ERRC), auquel elle a mis fin prématurément [et nous explique pourquoi], elle s’est lancée dans la création d’une fondation dédiée à la résolution des conflits, visant à créer un espace de médiation entre la communauté rom et le reste de la population pour désamorcer les crispations existantes, de part et d’autre. Car, déplore-t-elle, “les canaux de communication n’existent pas ou sont biaisés entre Roms et non-Roms“.

HU-lala : Pouvez-vous nous présenter votre projet  « Mediátor Foundation » ?

Nikolett Mohacsi : J’étais récemment en Irlande du Nord pour rencontrer des personnes qui ont une grande expérience dans la résolution des conflits. J’y ai vu des choses très intéressantes, des gens se réconcilier et s’embrasser après s’être battu les uns contre les autres pendant des années. C’était une expérience très forte. Nous essayons de mettre en place un « hungarian peace center » sur cet exemple nord-irlandais, qui serait un espace de dialogue, de communication entre Roms et non-Roms. Mais nous rencontrons des problèmes car nous ne recevons encore aucunes subventions à ce jour. A l’étranger, je rencontre beaucoup de soutien de la part de personnes intéressées par mon projet et qui sont prêtes à m’aider, mais pas en Hongrie. Il ne suffit pas simplement de nous donner la direction à suivre, la communauté Rom a besoin de véritables outils.

J’ai quitté le European Roma Rights Centre car je n’y avais pas ma place en tant que rom hongroise puisque l’ONG ne souhaite plus développer de projets locaux en Hongrie. ERRC estime que les réseaux d’association, d’ONG, d’avocats, etc., sont suffisants et donc que la Hongrie n’a pas besoin de leur aide. Cela est faux car, même si effectivement il y a des associations qui travaillent pour l’intégration et les droits des Roms, elles ne travaillent pas ensemble et ne forment pas un réseau.

Le risque de conflit existe-t-il vraiment ici en Hongrie ?

Heureusement la situation n’est pas la même en Hongrie qu’en Irlande qui a connu un conflit de plusieurs siècles. Mais le conflit existe déjà ici, il y a déjà des violences récurrentes contre les Roms. La Magyar Garda, par exemple, nous menace. On ne le voit pas ici dans la capitale, mais cela se passe dans les petits villages de campagne. Il est permis à la Magyar Garda de manifester et d’agresser les Roms, il est permis de ne pas les employer seulement parce qu’ils sont Roms. Les discriminations sont très fortes.

Entre rom et hongroise, quelle est ton identité ?

Je suis hongroise. Mais je dois préciser que, dans mon enfance par exemple, quand on me demandait ce que je suis, je répondais que je suis romani. « Qu’est-ce qui est écrit sur ta carte d’identité ? », me demandait-on. Je devais apprendre que j’étais hongroise, mais à l’intérieur, je me suis toujours sentie romani. Où que je sois, quelque soit le pays où je me trouve, je suis une femme romani et je suis très fière de cela.

As-tu déjà personnellement subi des discriminations ?

En raison de l’origine sociale de ma famille, de la façon dont je parle et je m’habille, je n’ai jamais été discriminée dans ma vie. A l’école primaire, j’étais la seule enfant rom parmi deux cents élèves, et j’étais parfaitement intégrée. J’étais même la plus populaire et on me disait souvent «tu n’es pas une vraie tsigane, tu es différente». J’étais en quelque sorte une « bonne » tsigane à leurs yeux. Il était d’ailleurs interdit de me traiter de tsigane. Mais j’entends les témoignages de tant d’autres qui sont discriminés dans tous les domaines de leur vie.

Intégration ou assimilation ?

Je suis intégrée à la société hongroise, mais c’est une question très difficile pour moi comme pour tous les autres Roms, car il faut s’intégrer tout en conservant ses traditions, sa langue, son identité. Or, aller à l’école ou travailler signifie souvent pour les Roms perdre leur identité. J’essaie d’expliquer aux non-Roms nos particularités, nos traditions, comme les différences entre le rôle des femmes et des hommes, mais ce qu’ils veulent c’est que je m’intègre en abandonnant ce que je suis. Il est stupide de se dresser en faveur de «l’intégration», c’est juste un mot qu’il est de bon ton et facile d’utiliser, comme la «paix». Mais l’intégration comme ils l’entendent, cela signifie renoncer à ce que je suis.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas d’intégration possible mais qu’il nous faut tous ensemble, trouver une bonne voie. Mais je ne pense pas que les Hongrois soient prêts à cela, car la situation est plus confortable. Il est plus facile pour eux de nous désigner comme des boucs-émissaires. De l’autre côté, l’un des problèmes pour notre intégration est que les Roms ne sont pas unis, nous ne parlons pas d’une même voix. Il faut savoir que les Roms sont divisés – les Lovari, les Romungros, etc. – et parfois nous nous opposons les uns aux autres. Nous devrions dire « nous sommes ensemble ». Nous devons travailler ensemble car nous serions plus forts, pour faire porter notre voix.

Mediátor Foundation1072 Budapest, Nyár u.12.
Phone: (36 1) 413-6627

Article paru sur HU-lala

 

 

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