Vingt ans après son lancement au CERN, le créateur du Web, Tim Berners-Lee (à gauche sur notre photo J.Erard/UNIGE) est venu « discuter » à l’Uni de Genève de l’avenir du Web avec l’ex-premier ministre britannique, Gordon Brown (au centre). Une conversation qui a fait salle comble, réunissant le tout Genève.
Comment chacun des deux hommes a-t-il la première fois utilisé le Web ? « Pour la naissance de mon premier enfant », a expliqué Tim Berners-Lee. Un soir de janvier 1991, le créateur du Web a lancé le logiciel pour la première fois depuis le CERN à Genève, sans mesurer sur le moment toute l’importance de son geste. « Pour regarder les résultats du football car j ‘étais aux Etats-Unis », a ajouté Gordon Brown. Il était alors « un professeur d’université animé par la poursuite de la vérité et de l’objectivité, ce que j’ai dû laisser derrière moi avec la politique », a-t-il précisé dans un sourire. Le ton d’humour anglais de cette discussion genevoise a dès lors été donné .De quoi combler d’aise une assistance qui, le 6 avril, a réuni le tout-Genève des médias, de la politique, et des affaires.
Accès aux données publiques
Convaincu du « génie » de son interlocuteur, l’ex-premier ministre britannique s’est empressé d’entrer dans le vif du sujet. « Ma première décision en arrivant aux affaires a été de chercher à généraliser Internet en donnant l’accès à tous aux données publiques. Nous avons choisi une date avec Tim, et nous l’avons fait ». Aujourd’hui, le public anglais peut, grâce à des données cartographiques accessibles sur Internet, trouver les informations dont il a besoin pour prendre un rendez-vous chez le dentiste comme savoir où il y a le plus… d’accidents de train. « Mais il a fallu combattre bien des secrets » , a rappelé l’ancien chef du gouvernement britannique « A ma grande surprise, Gordon Brown a accepté ce que je proposais », a complété Tim Berners-Lee. Le 10 janvier 2009, le Royaume-Uni devançait ainsi tous ses voisins pour entrer de plain-pied dans l’ère de l’Internet public.
Révolution des réseaux sociaux
Et aujourd’hui qu’en est-il de l’avenir du Web ? Le changement fondamental vient du bouleversement engendré par les réseaux sociaux, ont estimé les orateurs. Pour autant, le Web, conçu comme une plateforme ouverte, neutre et décentralisée, n’a pas encore gagné toute la liberté d’expression voulue à sa création. « On doit s’interroger sur le degré d’ouverture apporté par les gouvernements car ouverture ne signifie pas transparence », a relevé Tim Berners-Lee. Avant son élection le président Obama a fait une démonstration d’efficacité en utilisant les réseaux sociaux. Mais, depuis des difficultés ont surgi. Des prestataires de services devenus « tout-puissants » peuvent à l’envi ralentir la circulation des informations sur Internet ou décider de privilégier seulement certains internautes.
« D’ici dix à vingt ans on pourra mesurer la façon dont le monde a changé et s’est reconstitué autour d’Internet ont estimé les orateurs, en citant les nombreux mouvements engendrés par les réseaux sociaux, lors de cet extraordinaire « printemps arabe ». Pour Tim Berners-Lee, le Web a même changé la nature de la dissidence. Il a prôné la mise en place de contre-pouvoirs pour éviter la censure des Etats et garantir plus de liberté d’expression.
Rôle social majeur
Reste que le Web joue déjà un rôle social majeur en favorisant l’éducation à travers le monde et la prévention en matière de santé. Et ce n’est qu’un début. Avec de plus en plus d’utilisateurs de téléphones mobiles, y compris dans les zones rurales les plus reculées, le Web peut se dessiner un avenir « plus généreux ». Il permet de dispenser la médecine à distance là où les médecins manquent et peut donner en instantané le prix des récoltes à des agriculteurs. « Je suis persuadé que l’Afrique peut faire un pas en avant, en contournant grâce à la téléphonie mobile et au Web toutes les révolutions industrielles de l’Europe », a encore estimé son concepteur. Des priorités seront néanmoins à définir. « Là où les besoins vitaux doivent être servis comme l’accès à l’eau, Internet attendra », a conclu Tim Berners-Lee conscient des enjeux, comme des choix que devra soutenir la World Wide Web Fondation qu’il dirige.