Berne cautionne un putschiste décrié


En 2008, le président démocratiquement élu est renversé en Mauritanie. Aujourd’hui, le porte-parole des putschistes donne des leçons de démocratie à Genève.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est-il la personne idoine pour organiser, avec la caution du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), une conférence à Genève sur la transition démocratique dans les pays arabes? En 2008, ce diplomate mauritanien a participé au coup d’Etat mené contre le président démocratiquement élu de son pays, Sidi Ould Cheikh Abdallani.

La table ronde est prévue le 29 avril prochain dans les locaux du Centre de politique de sécurité (GCSP), une fondation basée à Genève et soutenue par la Confédération. Selon le programme que l’on peut consulter sur le site du GCSP, plusieurs diplomates de haut rang figurent parmi les orateurs. Du côté suisse, sont annoncés notamment les ambassadeurs Fred Tanner, directeur du GCSP, et Marcel Stutz, secrétaire d’Etat adjoint au Département fédéral des affaires étrangères à Berne.

«Retombées importantes»

L’idée d’un dialogue avec les pays arabes émane en fait du Genevois Alain Clerc. Fin janvier, au lendemain de la «révolution de jasmin» en Tunisie et alors que l’Egypte se trouve en pleine effervescence, cet ancien négociateur – il fut notamment l’initiateur du Sommet mondial sur la société de l’information et de la Convention de Bâle sur les mouvements de déchets dangereux – interpelle Peter Maurer, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères à Berne.

Dans un document remis le 12 mars 2011 aux services de Micheline Calmy-Rey, Alain Clerc imagine la mise en place d’un «petit secrétariat» à Genève destiné à sonder les chancelleries européennes ainsi que Washington quant à l’opportunité d’ouvrir un nouveau dialogue face au chantier de la démocratisation des institutions des pays arabes. L’initiative, lit-on dans le rapport, doit être menée tambour battant d’ici à l’été 2011. «Ses retombées pour la Suisse et pour Genève sont donc potentiellement extrêmement importantes tant d’un point de vue économique que politique.»

Peter Maurer fait part immédiatement de son grand intérêt. Mais c’est finalement à M. Mohamedou qu’est confié le mandat. Un choix étonnant dans la mesure où Berne a salué, en mars 2007, l’accession au pouvoir d’un civil en Mauritanie, une première. Toute l’Europe s’était alors vivement réjouie de la transition démocratique. Le renversement du président, une année plus tard, par le chef de la garde présidentielle, Mohamed Ould Abdelaziz, avait été immédiatement condamné dans les pays occidentaux.

Le péril islamiste

Nommé d’emblée porte-parole du nouveau chef de l’Etat mauritanien puis ministre des Affaires étrangères, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou n’a jamais caché son soutien à la junte. Dans une interview accordée au «Temps» le 12 septembre 2008, il affirme que le coup d’Etat à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, visait ni plus ni moins à «sauver» la démocratie du péril islamiste.

Quelques mois plus tard, Mohamed Ould Abdelaziz recevait en grande pompe son alter ego libyen, le colonel Kadhafi. Des élections étaient organisées en juillet 2009, redonnant un semblant de virginité au régime. En novembre de la même année, Abdelaziz était accueilli à l’Elysée par un Sarkozy affable. Et, le 10 avril dernier, il obtenait la consécration en rencontrant Kadhafi sous sa tente dans le désert libyen. Avec le Sud-Africain Zuma, l’Ougandais Okello et le Congolais Sassou, le président mauritanien a tenté de plaider en faveur d’une trêve dans les combats en Libye.

Volte-face surprenante

Aujourd’hui Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou n’est plus officiellement au gouvernement. Le 8 mars dernier, il a écrit à Jack Lang pour lui faire part de sa reconversion dans le professorat et la recherche à Genève. «Votre action diplomatique pour permettre un retour à la démocratie en Mauritanie restera dans l’histoire de cette nation et de l’Afrique en général », lui a répondu l’ancien ministre français de la Culture. Un discours qui rejoint celui tenu au Département des affaires étrangères par l’ambassadeur Tanner (voir ci-contre).

«La Liberté» a tenté de joindre au GCSP M. Mohamedou, sans succès, ce dernier ne répondant pas non plus aux courriels. Sa prise de position serait pourtant utile. En effet, une source mauritanienne assure que l’intéressé est toujours chargé de «vendre» le régime à l’étranger. La même source ajoute: «Il est pour le moins surprenant que Berne, après avoir soutenu le premier président mauritanien éludémocratiquement, confie la promotion de la démocratie à une personne qui a contribué à l’étouffer dans son propre pays.» I

3 questions à Fred Tanner, directeur du centre

L’ambassadeur suisse Fred Tanner dirige le Centre de politique de sécurité (GCSP) soutenu par 42 pays, dont la Suisse qui le finance à hauteur d’environ 70%. Selon lui, M. Mohamedou jouit d’une «longue expertise en matière de démocratie». D’où est partie l’idée d’organiser une table ronde sur les changements politiques dans le monde arabe?

Il est apparu clairement, dès le début du mouvement de résistance en Afrique du Nord, que plus rien ne serait comme avant. Nous vivons actuellement un changement de paradigme comparable à la chute du Mur de Berlin. Quelles seront les prochaines étapes? La révolution va-t-elle se poursuivre? Nous ne le savons pas. Il est donc important de comprendre où l’on va et de tirer un premier bilan.

L’organisateur mandaté par la Suisse, M. Mohamedou, a appuyé le coup d’Etat contre l’ancien président mauritanien qui avait été élu par le peuple. Pensez-vous qu’il s’agisse de la meilleure personne pour cautionner l’idée de la démocratie dans les pays musulmans?

La table ronde du 29 avril prochain est organisée par le GCSP avec la coopération de M. Mohamedou qui est un de nos experts associés. L’intéressé a, à ma connaissance, contribué au retour de la démocratie dans son pays, et non l’inverse, en menant à bien une transition qui a abouti à des élections reconnues au niveau international.

Mais M. Mohamedou a-t-il les compétences nécessaires?

M. Mohamedou jouit d’une reconnaissance nationale et internationale en tant qu’universitaire attestant d’une longue expertise en matière de démocratie. En effet, cela fait plus de 20 ans qu’il effectue des recherches et publie dans ce domaine. Il est d’ailleurs souvent invité par vos confrères à partager son expertise. J’ai connu M. Mohamedou il y a plusieurs années et son intégrité intellectuelle ne saurait être remise en cause à mon sens.

Article paru dans “La Liberté” du 15 avril 2011

 

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