Se confronter au monde, devenir lui pour en peindre la vibration. Pierre de Saint-Léonard a emménagé à Champex d’Alesse il y a deux ans. Une petite maison en bois face aux montagnes qui est à la fois son atelier et son lieu de vie dont il nous a ouvert les portes. Jusque-là, il créait avant tout des personnages qu’il expose jusqu’au 22 mai 2011 aux Halles de Sierre. Mais aujourd’hui, dans son atelier, la nature a repris ses droits
« Avant je voyais quelque chose et je me disais, un jour je vais peindre ça. » Un travail qu’il effectuait de mémoire pour se laisser avant tout envahir par l’émotion de l’instant. « Aujourd’hui, je prends mon carnet à dessin et je vais sur place pour être dans la réalité et pas dans le savoir. Je veux travailler mon vocabulaire pour être capable de capter l’instant. Quand je peins, je deviens ce que je regarde. Je me transforme en arbre pour en sentir dans mon corps la moindre écorce. »
Le stylo se promène sur un carnet. Dans tous les sens, presque sous une forme de dessin automatique. Pourtant de ce chaos apparent surgit une forme féminine. Pierre de Saint-Léonard regarde ses dessins comme on lirait dans un nuage, interprétant les formes et les tâches qui s’y trouvent. « Ici, on dirait un esprit de la forêt », décrit-il en observant une toile. Un arbre l’interpelle depuis longtemps sans qu’il n’ait encore trouvé le moment ou la force de le croquer. « La puissance d’un arbre est émotionnellement très forte. » Un rapport presque animiste avec la nature ? « Nous avons vécu dans un esprit chamaniste pendant 100’000 ans. C’est beaucoup plus long que nos 2000 ans de culture chrétienne. »
Ses croquis sont agrandis photographiquement avant qu’il n’en choisisse une portion qu’il retravaillera sur une toile plus grande. « Je peins toujours avec les deux mains en mouvement et je me tords physiquement pour ressentir le mouvement que je désire peindre. Parfois mes personnages sont faux, dans la position et les proportions du corps, mais l’énergie dégagée est juste. C’est pour cela que ça fonctionne. En me confrontant à la réalité des matières qui constituent le monde, le ciel, la terre, l’écorce, les forêts, j’ai aujourd’hui l’impression de pouvoir matérialiser l’air qui entoure un personnage. »
Ce retour à la nature est une petite révolution dans le travail de Pierre de Saint-Léonard qui a toujours été attiré par les personnages. « Le premier peintre que j’ai aimé c’est Giacometti. J’ai aimé ce qui était réaliste, sans doute parce que c’est dans ce contexte culturel que j’ai grandi. » Son rêve aurait pu être de faire de la bande dessinée. « Peut-être un jour si je trouve la personne qui écrit les histoires… »
Dans son atelier à Champex d’Alesse, le peintre utilise son corps pour devenir ce qu’il peint. Crédit photo : M-N Guex
Article paru dans Valais-mag