Alors qu’il s’était retiré quelques jours dans le village d’El Gouna bâti par son frère sur la Mer rouge, Naguib Sawires, le magnat des télécommunications égyptien propriétaire d’Orascom Telecom, businessman adulé dans le pays car doté d’un esprit jugé “propre” loin des multiples affaires de corruption, aurait préféré que son message sur Tweeter ne vienne pas gâcher son paisible week-end.
Car mal lui en a pris de joindre à un “Tweet” probablement envoyé depuis une chaise longue au bord de sa piscine, une photo d’un Mickey barbu accompagné de Mini vêtue du Niqab, avec comme légende : “Voici les visages de la nouvelle Égypte“. Une image qui faisait le tour du monde depuis des mois sur internet, mais il n’empêche que la réaction n’a pas tardé: en début de semaine, et malgré ses excuses, le voilà convoqué chez le procureur général, suite à la plainte d’une quinzaine d’avocats Salafistes outrés que l’Islam puisse ainsi faire l’objet de plaisanterie. L’incident illustre bien le climat de tension politico-religieuse qui règne dans le pays, alors que le débat fait rage sur la future nature du nouvel État, dont la constitution reste encore à écrire.
Sawires, de confession copte, vieux requin des affaires mais jeune poulain en politique, a créé un nouveau parti (“Les Égyptiens Libres”) au lendemain de la chute de Moubarak, après avoir habilement manœuvré pendant les révoltes populaires pour garder patte blanche. Le voilà donc devenu une cible de choix pour ses adversaires islamistes. Surtout qu’il s’affiche résolument en faveur d’un État laïque.
Un quoi? Le mot est pour le moment inconnu dans le vocabulaire égyptien. Les Talk-Shows télévisés et les articles de presse parlent plutôt d’un “État Civil” pour faire référence à la laïcité. Car en Égypte, s’imaginer sans religion est encore un concept qui dépasse l’entendement, un concept plongé dans les abysses les plus profondes si tant est qu’il existe. Alors il faut jouer avec tact sur les mots pour se faire comprendre sans susciter l’horreur et inévitablement la qualification de mécréant, insulte ultime en terre des Pharaons.
L’intensité du débat sur la future nature de l’État égyptien a fait réagir il y a quelques jours Al-Azhar, la plus haute institution de l’Islam sunnite, dans une déclaration jugée révolutionnaire par divers commentateurs . Pour elle, un “État civil” est possible en Égypte, si et seulement si la source de la législation se fonde sur la Charia. Avec cependant la possibilité pour les autres communautés religieuses d’avoir des tribunaux spéciaux pour juger des affaires de statut personnel. C’est un pas en avant minime destiné à se sortir du bourbier actuel, qui a aussi le mérite de laisser entrevoir un soupçon de laïcité. Mais difficile encore de voir comment un État laïque peut reposer sur une base religieuse. C’est que les voix du Seigneur sont impénétrables.
Article paru dans “Tremblements d’Egypte“