La période de grâce touche à sa fin pour le Conseil suprême des forces armées, au pouvoir en Égypte depuis la chute de Moubarak, le 11 février. Lenteur du jugement des anciens caciques, violences policières qui se poursuivent, multiplication des procès militaires pour les civils, droits de l’homme bafoués avec le scandale des tests de virginité… Pour les manifestants, et la Coalition des jeunes de la révolution en particulier, le gouvernement de transition n’est encore qu’une façade civile de l’armée, comme toujours depuis l’époque de Nasser. Alors, depuis une semaine, pour faire entendre leur colère face à cette résistance au processus démocratique, les Égyptiens sont à nouveau dans la rue. «Il y a en plus cette main invisible, celle de l’ancien régime, qui veut conserver ses privilèges. Il est temps que l’armée l’éradique», estime Galal Hamdi, ingénieur d’une trentaine d’années, après sa sixième nuit sur la place Tahrir.
En cinq mois, les manifestants ont retenu une leçon: aucune de leurs revendications n’est obtenue spontanément, seule la pression populaire est fructueuse. De fait, en l’espace de quelques jours, déclarations officielles et conférences de presse se succèdent pour calmer la rue. Elles peuvent susciter la défiance, comme mardi 12 juillet, avec la mise en garde de l’armée «contre toute personne qui troublerait l’ordre public et les services de l’État», en référence aux menaces de blocage du canal de Suez, des grands axes routiers et des bâtiments administratifs. Mais aussi une certaine satisfaction, suite à la conférence de presse, le 13 juillet, du ministère de l’Intérieur annonçant enfin, après un premier affront au Premier ministre, «une purge historique» des 4 000 officiers de police. «505 généraux et 82 colonels ont été démis de leurs fonctions, dont 27 généraux accusés d’avoir tué des manifestants», a-t-il déclaré.
Procès télévisés « en direct »
En quelques jours, les manifestants ont aussi obtenu que les procès des responsables de l’ancien du régime soient télévisés «en direct», et l’accélération de la justice sur ces questions. «Le fossé entre les manifestants et le pouvoir – armée et gouvernement – reste important, mais l’on va vers un apaisement», estime Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’université du Caire. «D’autant que les élections législatives, prévues pour septembre, viennent d’être reportées au mois de novembre. Cela permettra aux partis politiques de se renforcer, et cette décision soutient en quelque sorte les mouvements laïques au détriment des Frères musulmans, qui réclament des élections rapides pour tirer profit de leur capital de sympathie», ajoute-t-il.
Plus largement, ces nouvelles concessions indiquent, selon Samer Soliman, militant au Parti social-démocrate égyptien et professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire, que «l’armée a compris, après des années d’un exercice exceptionnel du pouvoir, que ce monopole est fini et qu’il faut laisser la place aux civils». Ce qu’elle cherche maintenant, «c’est conserver un pouvoir de veto, avec par exemple un article dans la future Constitution qui lui accorderait une sorte d’immunité sur son budget», explique-t-il. L’armée pourrait aussi, comme le réclament les mouvements laïques, «se voir confier la tâche de garantir la nature « civile », c’est-à-dire semi-laïque, de l’État», poursuit Soliman.
Quant aux candidats les plus connus à la présidence de la République, les ex-diplomates Amr Moussa et Mohamed el-Baradei, ils brillent surtout par leur silence. Pour Hicham Mourad, «c’est qu’ils attendent l’issue de la crise actuelle pour saisir les bonnes opportunités en fonction de leurs intérêts».
Article paru dans « Tremblements d’Egypte »