France: la bataille du rail


Un contrôleur de la SNCF est grièvement poignardé par un passager qui a séjourné plusieurs fois en hôpital psychiatrique. En quelques heures, tous les contrôleurs cessent le travail et paralysent le trafic dans toute la France. Des dizaines de milliers de voyageurs sont bloqués au milieu de nulle part. Pas d’informations, pas de correspondance, débrouillez-vous pour passer la nuit comme vous le pourrez!

Pourquoi une telle cacophonie? Parce que les syndicats de la SNCF ont abusé du Code du travail qui donne aux salariés un droit de retrait: «Le salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, a le droit d’arrêter son travail et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité.» Que 11000 contrôleurs de la SNCF manifestent leur solidarité pour leur collègue agressé, tout le monde le comprend et l’approuve. Mais que les syndicats prennent en otage des milliers de voyageurs, ça fait râler les Français, qui réagissent: si, à chaque fois qu’un pharmacien est agressé par un toxicomane en manque, tous les apothicaires de France fermaient boutique. Si, lorsqu’un prof est menacé par un élève, tous les enseignants invoquaient le droit de retrait!

Mais cet usage du droit de retrait est accepté par la direction de la SNCF. Avec une prudence de serpent, pour ne pas heurter de front les puissants syndicats, le président de la régie publique, Guillaume Pepy, l’admet: il ne s’agit pas d’une «question juridique», mais juste «un coup d’émotion». Ainsi, il a suffi qu’un fou agresse un contrôleur pour qu’une corporation arrête le travail sans préavis. Selon le syndicat Sud Rail: “C’est une réaction de solidarité, mais aussi le choc lié à cette agression qui montre pour tous les contrôleurs que n’importe lequel d’entre eux aurait pu être à la place de ce collègue.”

On pourrait y croire si l’arrêt de travail avait duré quelques heures. Mais 24 heures de solidarité, quelle belle générosité corporative! En entendant certains leaders syndicaux, on commence à comprendre: toujours selon Sud Rail, cette agression s’ajoute à “une situation sociale tendue, des restrictions et des suppressions de postes draconiennes qui font que nous ne sommes plus en mesure de fournir un service correct aux usagers”. Ah bon, les contrôleurs ne sont pas «confrontés à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé». Le droit de retrait est seulement une arme pour contraindre la direction de la SNCF à négocier sur l’évolution du métier de contrôleur et sur les conditions de travail. Cela va mieux en le disant! Mais, alors, pourquoi les contrôleurs de la SNCF n’ont-ils pas lancé un préavis de grève pour soutenir leurs revendications? Vraiment, vous n’y comprenez rien! Selon le Code du travail, la grève, c’est compliqué, il faut un préavis de cinq jours, il faut annoncer à sa direction si on fait grève 48 heures à l’avance. La direction peut aussi imposer un service minimum. Et surtout, les heures de grève ne sont pas payées. Le droit de retrait, selon le Code du travail, c’est tout autre chose. Il «n’entraîne ni sanction, ni retenue sur salaire. L’employeur ne peut demander au salarié de reprendre le travail si le danger grave et imminent persiste.» Vous avez compris : pour «marquer les esprits», selon la formule d’un syndicaliste, le droit de retrait, c’est beaucoup mieux que la grève. C’est gratuit et ça paie, médiatiquement.

Cela dit, les contrôleurs ont des raisons d’en avoir ras le bol. Ils auraient recensé plus de 700 agressions depuis le début de l’année. Même si, comme l’a souligné le patron de la SNCF, “la dernière fois qu’un contrôleur a été agressé au couteau remonte à 2004”. Ce que réclament les syndicats, c’est des contrôleurs en plus, plus de contrôles dans les gares et des équipements plus modernes. Dans un pays où la confrontation – et pas la concertation – fait partie de la culture syndicale, l’abus du droit de retrait est une arme redoutablement efficace, quitte à provoquer une cacophonie de 24 heures pour les usagers.

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