C’est l’un des projets du siècle, il porte le nom d’un opéra célèbre. S’il voit le jour, le gazoduc Nabucco s’étendra sur 4000 kilomètres des fins fonds de la Turquie à l’Autriche. Son but: contourner la Russie et l’Ukraine afin de réduire la dépendance de l’Europe face à sa seule source d’approvisionnement en provenance de l’Est. On comprend donc que ce projet appuyé par Bruxelles et Washington déplaise profondément à Moscou qui a lancé un projet de gazoduc concurrent, South Stream. Qui gagnera ce combat de titans? Nabucco a-t-il vraiment du plomb dans l’aile, comme l’ont affirmé les observateurs que déconcertent les développements stratégiques au Moyen-Orient? Le point avec Christian Dolezal, chef de la communication du consortium Nabucco Gaz Pipeline International, basé à Vienne en Autriche.
Où en est le projet de gazoduc Nabucco?
Christian Dolezal : Il avance. Le 8 juin 2011 un contrat bilatéral a été signé à Kayseri en Turquie entre le consortium international Nabucco et cinq pays de transit, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche. Ce texte est un pas très important car il fixe le cadre législatif pour les infrastructures qui seront mises en place afin de réaliser le projet. Ce dernier reste ouvert à d’autres partenaires, soit dit en passant.
Quand commencera la construction du gazoduc?
En 2013. La fin des travaux est prévue en 2017.
2017, c’est trois ans de plus que ce que prévoyait le calendrier initial. Pourquoi ce retard?
La question du transport est complexe. Nous voulons aussi nous assurer que le gazoduc ne démarrera pas à vide. Il faut régler des problèmes liés à l’approvisionnement car il est prévu que le gaz provienne de trois régions, l’Azerbaïdjan, le Turkmenistan et l’Irak. Le plus grand potentiel vient de ces pays. La balle est dans leur camp.
Vous parlez de l’Irak, donc de la frontière du Kurdistan. Les risques politiques ont-ils été mesurés?
Oui, les risques ont été évalués. Dans la mer Caspienne se trouvent les plus grandes réserves de gaz au monde, en partie non explorées, c’est pourquoi nous misons sur l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Par contre nous avons abandonné l’idée de nous fournir en Iran, du fait de ces mêmes risques politiques, justement.
Certains prétendent que la Turquie n’appuie que mollement le projet Nabucco. Vous confirmez?
Non, la Turquie appuie totalement le projet. Un autre atout de Nabucco est que ce projet dispose du soutien indirect des grandes «majors» du pétrole, Socar, BP, Total, le groupe norvégien Statoil qui sont actionnaires du gisement off-shore de Shah Deniz II en Azerbaïdjan.
Le financement de Nabucco est-il assuré?
Le projet est soutenu par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’IFC, une entité de la banque mondiale. Nous attendons également des contributions d’agences de crédit à l’exportation et de banques privées.
Les banques suisses seront-elles de la partie ?
Pas pour l’instant. Les discussions avec les banques privées n’ont pas encore commencé.
Il y a quand même l’inconnue russe. La Russie semble partie très fort avec son projet South Stream qui devrait transiter par la Serbie. Des experts affirment qu’il n’y a pas de place pour deux gazoducs concurrents…
C’est une autre question complexe, je l’admets. South Stream est important pour la Russie, Nabucco l’est tout autant pour l’Europe. Dépendre d’une seule source n’est pas bon pour l’indépendance énergétique. Pour nous le principe de la libre concurrence est prioritaire. A cela s’ajoute un élément nouveau, d’ordre environnemental. Le drame de Fukushima a montré qu’il convient de diversifier les sources d’énergie et le gaz en est une de choix. Les données ont changé depuis quelques années. Aujourd’hui il existe un marché pour plusieurs pipelines. C’est pour cela que Nabucco sera réalisé.
Interview parue dans “La Liberté” du 15 octobre 2011