PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Après avoir vu son bénéfice net chuter de 57% au cours des trois premiers trimestres de 2011, le groupe énergétique Alpiq a annoncé le 4 novembre dernier une cure d’amaigrissement drastique: 450 emplois sont supprimés, dont la moitié en Suisse. Le plan de restructuration l’accompagnant qui prévoit notamment un rapprochement de deux entités importantes du groupe, le secteur AIT – soit les installations et services, une unité d’affaires soumise à la concurrence – , avec «Energy Switzerland» – la production et distribution d’énergie en Suisse dont la part de rentabilité est constante – est accueilli plutôt fraîchement par la société de conseil SwissElectricity.com SA, sise à Genève, spécialisée dans l’optimisation des coûts de l’électricité.
«La Liberté»: Claude Cornaz, vous êtes l’administrateur délégué de SwissElectricity.com et vous dénoncez depuis des années les gains élevés de la branche électrique en Suisse. Qu’est-ce qui vous déplaît dans ce plan de restructuration?
Claude Cornaz: Ce n’est pas tant la restructuration, c’est le fait que dans la situation actuelle, les consommateurs risquent d’éponger les pertes subies dans les affaires commerciales d’Alpiq. Il est urgent d’exiger une séparation juridique complète pour protéger les entités stratégiques pour l’approvisionnent de l’électricité du pays.
Vous remettez en question le monopole?
Non, le réseau de transport et les centrales sont de fait en situation de monopole. Nous contestons le principe qui est de ne pas redistribuer les gains issus de la production et du transport d’électricité en Suisse, et de reporter le risque des activités commerciales sur le consommateur d’électricité.
On peut comparer avec UBS?
Oui, quelque part Alpiq est «too strategic to fail». Le groupe est un acteur stratégique clé sur la plateforme électrique suisse, et on ne peut pas le laisser faire faillite. C’est pourquoi il faut séparer les principales unités du groupe afin de ne pas risquer une faillite en chaîne. Alpiq a racheté une grande quantité de PME de services énergétiques. Le secteur «Energy services» d’Alpiq représente 85% de sa main-d’œuvre, 6% de rentabilité et 10% des gains. Or le secteur Energy Switzerland offre de son côté 23% de rentabilité et 55% des gains d’Alpiq en employant moins de 5% des collaborateurs.
Les pouvoirs publics actionnaires d’Alpiq pourraient-ils faire quelque chose?
Il serait opportun déposer une motion parlementaire demandant la protection du patrimoine électrique national. Cela éviterait au consommateur connecté au réseau d’assumer ces risques commerciaux. Par exemple, certaines des activités en concurrence du Groupe E sont clairement séparées juridiquement de celles se rapportant au service public.
Cette situation se retrouve-t-elle à l’échelon européen également ou la Suisse est-elle un cas isolé ?
Le problème des abus de position est européen. Les énergéticiens sont souvent épinglés par les instances européennes. La libéralisation du secteur peine à fonctionner de façon satisfaisante pour le consommateur. A titre d’exemple, on fait des reproches à certaines entreprises industrielles pour abus de position dominante sans réaliser que les électriciens sont encore plus envahissants sur le marché de l’énergie. Du coup, les consommateurs ne bénéficient pas des retombées positives de l’ouverture. En Suisse, sous prétexte de la hausse des prix de l’électricité sur les marchés européens en 2008, les tarifs moyens ont augmenté en 2009 de près de 10%, en passant de 14,6 à 16 centimes le kWh. Depuis, les prix se sont effondrés mais les tarifs n’ont baissé que de 1%. Ils devraient revenir au moins au niveau de 2006. En 2009, Alpiq a versé une soulte de 1,8 milliard de francs aux distributeurs romands d’électricité. Malgré nos demandes insistantes, cette somme n’a pas été reversée aux consommateurs. Elle correspond pourtant à une année d’achat d’énergie.
C’est un peu le casino!
Le mélange des genres est courant alors que des sommes considérables circulent. Les entreprises électriques suisses développent des business parallèles dans les services énergétiques. Et se font concurrence quand elles posent des éoliennes dans le Jura. Je suis pour la liberté d’entreprendre mais celle-ci implique aussi une responsabilité et la prise en compte de pertes liées aux risques. A partir du moment où l’on perd l’argent des autres, cela ne va plus.
Interview parue dans “La Liberté” du 15 novembre 2011