Tout pour l’homo economicus?


Le dernier numéro de la revue culturelle «Intervalles», qui vient de paraître, est consacré à la formation continue. Une trentaine de contributeurs y évoquent le passé, le présent et l’avenir de la question.

Lors de la conférence de presse, réunie le 23 novembre dernier au CIP à Tramelan pour présenter cette publication, le sujet a été essentiellement traité sous l’angle des besoins des entreprises en main-d’œuvre formée et des nécessités des personnes en recherche d’insertion professionnelle. Des besoins nouveaux dus pour beaucoup à la mondialisation de l’économie et notamment au durcissement de la concurrence internationale, à l’intensification de l’immigration et à la croissance du chômage qui en découlent.

Cependant, l’homme et la femme ne sont pas que des agents économiques. Beaucoup sont aussi parents. Tous, en principe, sont également citoyens et administrés. Et certains, malheureusement de moins en moins nombreux, sont encore des acteurs sociaux engagés.

Parents! Interrogez des enseignants, de plus en plus confrontés aux exigences et aux critiques, plus rarement aux compliments et aux remerciements, des parents de leurs élèves, demandez-leur un diagnostic sur le degré d’inconscience, d’irresponsabilité, en un mot d’immaturité de beaucoup d’entre eux, et pas seulement des milieux dits populaires ou étrangers; des parents qui ont trop souvent oublié que l’éducation première (notamment la politesse, le respect des autres, la non-violence) de leurs enfants leur incombait.

Citoyens! Deux phénomènes en particulier témoignent ici du mal qui ronge notre société démocratique: l’abstentionnisme et la gangrène du populisme. Il y a en effet ce nombre toujours plus grand de citoyens qui ne croient plus pouvoir influencer les choix politiques par leur vote et qui de ce fait démissionnent. Et parallèlement, il y a, chez ceux qui n’ont pas renoncé à donner leur avis, ces décisions dictées par l’émotion, la peur ou un engouement passager.

Acteurs sociaux! Les personnes actives dans la politique, dans le social, dans le sport et dans la culture constituent le ciment ou mieux le liant (notion plus souple et plus élastique) de la société. C’est vrai que les fonctions de politicien, assistants sociaux, entraîneurs sportifs et animateurs socio-culturels ont été de plus en plus professionnalisées. Il n’en demeure pas moins que, sans les innombrables bénévoles présents et engagés à leurs côtés dans le terrain, la plupart de ces activités, combien utiles et nécessaires, seraient très vite paralysées voire moribondes.

Or on doit bien l’admettre, l’école obligatoire puis les formations premières subséquentes préparent presque exclusivement les jeunes à devenir avant tout des agents économiques. Rien ou presque ne les dispose à jouer les autres rôles auxquels j’ai fait allusion. C’est «sur le tas», avec les échecs, les ratés, les expériences quelquefois malheureuses qui accompagnent immanquablement ce type d’apprentissage, que les connaissances et les compétences indispensables sont peut-être acquises.

Nous sommes bien d’accord, il ne s’agit pas de scolariser systématiquement les adultes. Toutefois un minimum de formalisation de l’éducation des adultes permet d’obtenir une amélioration sensible dans la préparation des adultes à assumer les multiples rôles que nous avons décrits. De plus, comme la société évolue, et même de façon accélérée, les connaissances et les compétences des personnes doivent être constamment adaptées, mises à jour. C’est ainsi qu’on en arrive au concept de formation tout au long de la vie et cela dans tous les domaines.

Dès lors se posent les questions: qui doit porter la responsabilité de cette formation continue, qui doit l’organiser, qui doit la financer?

Il est logique et compréhensible que l’économie soit prioritairement chargée de la formation et du perfectionnement, voire du recyclage des travailleurs, l’avenir des entreprises en dépend. Certaines parmi celles-ci assument cette responsabilité. D’autres choisissent la voie de la facilité et de l’économie à court terme pour satisfaire leurs besoins, par exemple en licenciant les employés «inadaptés», trop souvent des ouvriers âgés, et en embauchant des personnes immédiatement opérationnelles, par exemple des jeunes sortant de formation. Mais là n’est pas notre propos de ce jour.

Ce qui me préoccupe aujourd’hui c’est ce qui devrait être fait pour améliorer les compétences des personnes dans leurs multiples autres rôles: parents, citoyens et acteurs sociaux. Il est en effet vain d’attendre de l’économie qu’elle s’investisse dans les formations propres à ces activités. Certaines cependant le font, honneur à elles, au titre du mécénat.

Beaucoup diront que la responsabilité de la formation continue, nécessaire en dehors des besoins de l’économie, relève uniquement de l’individu et qu’il appartient dès lors à ce dernier de la financer. C’est oublier que les rôles énumérés plus haut (parents, citoyens et acteurs sociaux) ont une fonction éminemment sociale. La collectivité, représentée en l’occurrence par les pouvoirs publics de tous niveaux (Confédération, cantons et communes), doit le reconnaître et doit de ce fait intervenir, un peu plus qu’à titre subsidiaire.

On regrette ici que la Confédération, dans une loi sur la formation continue mise récemment en consultation, se soit contentée d’identifier les enjeux, presqu’exclusivement économiques, mais soit restée timide dans la définition des moyens en particulier réglementaires (par exemple sur le droit au congé-formation) et financiers à mobiliser pour concrétiser un véritable projet de «formation pour tous, tout au long de la vie». Mais le débat n’est pas clos; il doit continuer. Le dernier numéro de la revue «Intervalles» y contribue.

Article paru dans “Courant d’Idées

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