Le nouveau Réduit national


Il y a un problème, avec la non élection de Pierre-Yves Maillard au Conseil fédéral. Cela n’a pas été un échec, mais une élimination.

Une différence de vocabulaire qui s’impose du fait de l’écart de voix: cent-vingt pour Berset, soixante pour Maillard. Alors que le microcosme fédéral nous avait tartiné qu’ils étaient les deux de (haute) valeur, sensiblement égale. Une appréciation très répandue, et tant qu’à évaluer plus avant, Pierre-Yves Maillard pouvait surpasser son concurrent, ne serait-ce que par la richesse et l’adéquation de son expérience. Une telle appréciation vire à l’humour noir lorsqu’on constate que le nouveau conseiller fédéral hérite du Département de l’Intérieur.

Mais pour tenir ces considérations, il faut rester en dehors du Palais. Sous la Coupole, on bascule dans un autre monde. Aux moeurs vénitiennes, faites de conciliabules et d’intrigues qui atteignent leur point d’orgue lors des élections au Conseil fédéral. Le Parti socialiste en a très souvent été la victime, avant de prouver, dans l’opération d’éjection de Christoph Blocher en 2007, que l’on était aussi capable de comploter à gauche. Deux hommes s’y étaient d’ailleurs distingué, Alain Berset et Christian Levrat…

Nous y voilà! Quel rôle le président du Parti socialiste a-t-il joué dans la victoire écrasante de l’autre Fribourgeois? La question pourrait bien revenir, lancinante, tant que des dispositions ne seront pas prises qui corrigent les tares du système. Pourtant sa responsabilité n’a été jusqu’ici que modérément mise en cause, certains, dans le camp des perdants l’ayant même ouvertement dédouanné. D’autres, à l’évidence contaminés par les pratiques chuchotantes du Palais, ont rapidement passé au stade «N’en parlons plus, mais pensons-y toujours».

Ce qui ne simplifie pas l’analyse, c’est que Christian Levrat est un parfait bilingue: il passe sans difficulté de la langue française à la langue de bois. Pour argumenter, il est fort, pour “communiquer” (au sens des manipulations modernes), il n’est pas en retard. En revanche, ce n’est pas une référence du parler vrai, et cette constance d’attitude obère notre lecture.

Or, sa complicité avec Alain Berset était assez patente pour que l’un ou l’autre journaliste l’évoque en guise d’objection, qu’il a entendu balayer en équilibrant ces liens privilégiés par la mention d’autres qu’il avait avec le candidat vaudois, naguère, lors d’anciennes luttes syndicales. Cause toujours!

Il y a eu cet instant, devant la télévision romande à Fribourg, au soir du 23 octobre, où l’on a vu le président, après avoir félicité son compère pour sa brillante élection aux Etats, enchaîner bruyament sur l’air «Et maintenant, le Conseil fédéral!» Personne n’est venu le lui reprocher? Peut-être pour éviter de se voir répondre qu’à ce moment, «PYM» n’avait pas encore posé sa candidature. Ouais…

Et puisqu’on évoquait ce jour le Conseil fédéral, n’était-ce pas le lieu de préciser qu’en cas de succès d’Alain Berset le 14 décembre, Christian Levrat serait le mieux placé pour lui succéder aux Etats? Chut… Il fallait que la chose ne soit balancée dans les conversations qu’une fois l’élection ultime d’Alain Berset assurée. Vous vous dites: à qui le crime profite? Mauvaises langues.

Peut-être qu’en passant en revue tous les incidents de campagne, on trouverait autant d’éléments de nature à blanchir l’accusé Christian Levrat. Bref il aura été, du début à la fin, irréprochable, tendance suspect.

Plus intéressant: faire une critique de sa gestion présidentielle en soi, hors la prise en compte de ses sympathies personnelles. Retenons cette étrange séance du comité directeur du Parti socialiste, étape obligée de sélection des candidatures avant le verdict du goupe parlementaire. Elle a débouché sur un exemplaire blabla présidentiel, nous avons quatre candidats de valeur, nous n’avons pas choisi… Ce surprenant non-choix, qui n’a pas empêché que l’on impose à ce moment, aux quatre postulants, de s’engager à renoncer à leur élection s’ils étaient choisis par l’Assemblée contre l’avis du groupe parlementaire, ce non-choix du Parti désavantageait sans doute surtout Maillard, car son profil politique lui donnait toutes les chances de passer en tête, à ce stade de la procédure. Est-ce cela que l’on voulait éviter?

Il y a ensuite la pratique du «double ticket» présentée comme un usage incontournable alors que ce n’est souvent, comme au cas particulier, qu’un moyen pour une formation politique d’éluder ses responsabilités, voire de se débarrasser de candidatures encombrantes. On connaît la dérive radicale, lorsque ce parti, présentant un homme et une femme, offre de fait un tremplin au premier, un tobogan à la seconde; itou pour l’UDC lorsqu’elle a confectionné un ticket Alémanique-Romand en vue de remplacer une Suisse allemande.

Ce truc du double ticket a aussi perverti le sens de l’élection au PS, dans la mesure où ce parti a proposé, au côté d’une ou d’un socialiste confirmé, une ou un social-libéral, ou perçu comme tel, et donc préféré par la droite. Ce scénario, et l’on est sous la présidence de Christian Levrat, aura stoppé les ambitions de Jacqueline Fehr et de Pierre-Yves Maillard.

La double candidature n’est donc pas un vrai choix, d’autant plus absurde que la sélection préalable a déjà restreint les choix. N’importe quel citoyen suisse en principe éligible, donc des millions de personnes. Une règle surréaliste lorsqu’on voit que la tendance lourde des dernières années limite les chances d’être élu au cercle restreint des députés à l’Assemblée fédérale qui compte, réunissant le Conseil national et le Conseil des Etats, 246 membres! Les premières victimes de cet exclusivisme sont les ministres cantonaux qui ne font pas partie du club, et où l’on trouve des magistrats parmi les plus compétents, exemple Pierre-Yves Maillard. Pire, on observe un avantage supplémentaire aux seuls 46 conseillers aux Etats, qui se soutiennent. Hans-Rudolf Merz, Simonetta Sommaruga, Didier Burkhalter et Alain Berset ont bénéficié de cette base de lancement. Une vraie cellulle de parti clandestin.

On voit que les artifices de procédure combinés aux mots d’ordre de coulisse orientent ces élections de façon inattendue pour l’opinion, parce que les facteurs de non-dit y jouent un rôle déterminant, en marge du débat public. C’est possible dans ce huis-clos qu’est l’Assemblée fédérale. Ce microcosme y perd tout sens de la diversité, à commencer par la diversité linguistique et régionale pourtant prescrites par la constitution. D’où cette spirale de l’enfermement dont l’UDC n’a pas le monopole, et qui a permis le 14 décembre de façonner un Conseil fédéral dont la majorité est issue de la zone étroite du Mittelland. Sommes toutes, l’Assemblée fédéral et le Conseil fédéral, c’est notre nouveau Réduit national. Pour on ne sait quelle guerre.

Article paru dans “Courant-d’Idees

Pascal Broulis et la clause cantonale

Le bassin lémanique ne sera donc plus représenté au Conseil fédéral. Pascal Broulis s’en émeut dans la presse alémanique, et suggère de réintroduire la clause cantonale interdisant que deux conseillers fédéraux du même canton siégent au Conseil fédéral. Le fait est que depuis le remplacement de cet article constitutionnel par une disposition à l’évidence vague, le Conseil fédéral, qui a failli cette fois voir deux Zuricois (du même village) siéger aux côtés des deux Bernois en place, a plutôt régressé s’agissant de la représentativité régionale de ses membres. Mais il arrivait aussi, auparavant, que l’on tourne cette clause. Pas sûr donc que ce soit la bonne réponse. Il faudrait tout de même chercher une solution, qui pourrait servir d’alternative à l’initiative d’élection du Conseil fédéral par le peuple. Car la formulation de cette dernière est inacceptable par la minorité italophone. (pik)

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4 commmentaires à “Le nouveau Réduit national”

  1. Quidam 20 décembre 2011 at 18:14 #

    Le bassin lémanique ne sera plus représenté au Conseil fédéral, Broulis se lamente et le “Matin Dimanche”, dominical édité par un groupe vaudois (à moins qu’il ne soit déjà tout à fait zurichois) fait l’apologie de… l’élu fribourgeois. Cherchez l’erreur.

  2. Alex 21 décembre 2011 at 07:34 #

    Il n’est en effet pas inutile de rappeler que l’existence de la clause cantonale n’avait pas empêché deux anciens syndics de … Lausanne de siéger simultanément au Conseil fédéral (Pierre Graber et Georges-André Chevallaz).

  3. Le passant ordinaire 21 décembre 2011 at 09:32 #

    Jusqu’à ce jour au sein du Conseil fédéral je n’avais qu’un seul ennemi Didier Burkhalter. Depuis l’élection de l’apparatchik Berset j’en ai deux.

    Je les attaque vigoureusement sur mon blog “L’étendard”

    http://ltendard.blogspot.com/

    A titre informatif le secrétaire de Burkhalter avait sommé le quotidien valaisan “Le Nouvelliste” de supprimer un commentaire ironique sur son “petit chef” mais sans succès.

  4. Comic 24 décembre 2011 at 00:37 #

    La théorie du complot. On pouvait être pour Maillard ou pour Berset, passe encore, mais le Grand Canton de Vaud ne sortira pas de son ornière politique juste en se lamentant, en reprochant aux autres ceci et cela. La critique sur tout ce qui déborde la frontière vaudoise est pratique, elle évite d’avoir à se poser la question de ce qui ne marche pas ici. Kolb serait-il un agitateur fribourgeois? chargé de trouver des bouc-émissaires sur lesquels on pourra se lamenter durant les 20 prochaines années plutôt que de se demander ce qui fait que nous sommes si mauvais? Et puis, en matière d’éviction et de complot, les champions du PS sont surtout à Lausanne, si je me souviens bien de la cuistre manière avec laquelle le PS a évincé Bourquin, son propre membre de l’exécutif qui avait fait du bon travail.

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