Trafic de drogue entre le Pérou et le Brésil, une frontière nommée passoire


Correspondance de Lima

Le Pérou est devenu en 2011 le premier producteur mondial de feuilles de coca. Il devance désormais la Colombie. Les mafias de la cocaïne étendent leurs réseaux d’autant plus facilement que l’Amérique latine, les Etats-Unis et l’Europe ne parviennent pas à coordonner leurs efforts. Quant aux gouvernements, y compris latinos, ils s’y entendent pour faire preuve de laxisme en la matière.

Au Pérou, le gouvernement du nouveau président Humala a certes empoigné le problème. Il n’en demeure pas moins que quelque 80 tonnes de cocaïne passent annuellement la frontière amazonienne entre le Pérou et le Brésil, du côté de Manaos. Les mafias sont pour l’instant tranquilles pour acheminer leur produit. Dans cette zone frontière, l’ultime base policière ne peut en effet compter que sur une lancha, une petite embarcation, pour tenter de faire face aux trafiquants. Une lancha… et 12 policiers. Dérisoire, estiment les observateurs.

Selon une enquête de «La Republica», ces 12 policiers, en raison de leurs petits moyens d’intervention, ont été dans l’incapacité, pour ce qui va de 2011, de saisir ne serait-ce qu’un gramme de drogue. “Narcotrafic: l’urgence”, titraient du reste les quotidiens péruviens au lendemain du rapport présenté le 13 septembre dernier par Ricardo Soberon, chef de la Commission de lutte contre la drogue, qui exposait devant le Parlement sa stratégie d’éradication de la coca. Manifestant la fermeté du gouvernement Humala sur le sujet, il a demandé la tenue d’un sommet international sur la drogue en 2012. Mais aussi une hausse significative de l’aide internationale.

Urgence, il y a. Depuis que l’organisation du puissant trafiquant péruvien Jair Ardela s’est installée cette dernière décennie dans le trapèze amazonien, Colombie, Pérou et Brésil, les séquestres, les meurtres et les disparitions n’en finissent pas d’inquiéter. Rien à voir, certes, avec ce qui se passe au Brésil, en Colombie et, principalement, au Mexique, où les cartels de la drogue se livrent une guerre sans merci sur tout le territoire. Une violence accrue en raison de l’impuissance du gouvernement à faire face à l’ampleur du problème.

Jair Ardela a certes été arrêté par la police péruvienne le 1er mars 2011 dans une ville amazonienne proche de la frontière brésilienne, puis remis à la police fédérale brésilienne, mais son frère, Jesus Ardela Michhue, a pris la relève. Interrogé à Leticia (Colombie) par Doris Aguirre pour le compte de «La Republica», le chef de la police de cette localité qui borde le fleuve de l’Amazonie sur sa rive nord connaît bien le trafic qui se développe dans ce trapèze amazonien. Pour le colonel Gilberto Pinilla, les moyens mis en oeuvre par le Pérou sont effectivement dérisoires: «La police péruvienne se doit d’agir comme le fait la Colombie dans sa lutte contre les trafiquants. A Iquitos, notre base antidrogue dispose d’hélicoptères et de plusieurs bateaux. Surtout, nous opérons avec l’appui logistique de l’armée».

Une logistique qui fait visiblement défaut du côté de la police antidrogue, à Santa Rosa, une île péruvienne sur le fleuve amazonien aux confins du Pérou, ultime village et garnison entre la Colombie et le Pérou. Cela, à quelques kilomètres du Brésil, en longeant le vaste fleuve. Dans un entretien qu’il a accordé à «La Méduse», un ancien ponte des brigades antidrogues à Lima, soucieux de préserver son anonymat, confirme la dérision des moyens mis en place par son pays au coeur du trapèze amazonien pour contrer les trafiquants. Et de lancer, de façon surprenante: «L’unique moyen de faire tomber un jour le trafic et les prix liés à la coca est de lever la prohibition. Imaginons un instant des prix cassés proches de zéro. Même gratuite, la coca ne ferait pas monter en flèche la consommation. Mais cela porterait un coup terrible aux trafiquants…».

Aux dires de notre interlocuteur à Lima, les trois pays andins (Colombie, Pérou et Bolivie) sont pratiquement responsables de la totalité de la production de feuilles de coca. La matière première de la cocaïne. Le marché est d’ailleurs colossal: la valeur annuelle de ce que produit globalement le trafic de cocaïne dans le monde se monte à près de 85 milliards de dollars. « C’est moins que dans le milieu des années 90, lorsque les prix étaient bien plus élevés. En 1995, on estimait que le marché valait 165 milliards», confirme mon interlocuteur. Comme s’il entendait se donner raison.

Pour l’heure, des sources proches des services de renseignements qui gravitent autour de la lutte contre la drogue dans le trapèze amazonien relèvent qu’un kilo de cocaïne dans la partie péruvienne se négocie à 1.500 dollars. Cette même quantité, à quelques centaines de kilomètres, à Manaos, se cotise à plus de 10.000 dollars. Or, on calcule que les mafias acheminent annuellement 80 tonnes de coca en direction du Brésil, afin d’alimenter le  marché local et européen, en partie. Le tout pour une valeur de 800 millions de dollars, qui vont annuellement remplir les poches des barons de la drogue.

Ce qui fait dire à l’un des responsables de la brigade basée à Santa Rosa que pour obtenir des résultats dans ce bras de fer inégal, il faut des hélicoptères, une vingtaine d’embarcations, 200 hommes ainsi qu’une logistique susceptible d’être opérationnelle 24 heures sur 24. Une question d’outils, en somme. Et de moyens financiers. Que les trafiquants ont, eux…

Milliards blanchis

D’après de nombreuses sources concordantes en lien avec la coca, On compte près de 5 millions de consommateurs de cocaïne aux Etats-Unis, le plus gros marché actuel. On estimait en outre à 33 milliards de dollars la valeur du marché européen de la cocaïne en 2009, soit à peu près celle des Etats-Unis (37 milliards de dollars). Chiffres encore: quelque 444 tonnes de cocaïne pure ont été consommées dans le monde durant cette même année 2009. Environ 600 millions de narcodollars sont annuellement injectés dans l’économie bolivienne, le double au Pérou. Mais 7 milliards de dollars sont blanchis en Colombie. Apro

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