Environ cent habitants des environs de la gare de Lausanne se sont réunis, jeudi soir 2 février 2012, dans la Salle des Cantons du Buffet de la gare CFF à Lausanne. Ils répondaient à l’appel du «Collectif Gare», un groupement de 300 citoyens lausannois, qui exige un moratoire immédiat sur toutes les démolitions programmées dans les quartiers de la gare. La menace est concrète: un pâté d’immeubles et un hôtel familial renommé se trouvent dans le viseur de la société CFF Immobilier. Plusieurs dizaines de personnes – 250, compte le collectif – vont devoir quitter les lieux, alors que la crise du logement fait rage. Une pétition destinée au Conseil communal de la ville de Lausanne a été lancée jeudi. Elle demande d’inclure les citoyens, «jusque-là ignorés», dans le processus de décision.
Dans son édition du vendredi 2 février 2012, le quotidien local s’abstient de relayer l’information et donne plutôt la parole à un urbaniste de l’EPFL, un ou deux politiciens, ainsi qu’au porte-parole… des CFF, pour aboutir à la conclusion qu’il n’y a pas d’alternative. Jeudi, dans la Salle des Cantons, peu de gens ont contesté la nécessité d’agrandir la gare de Lausanne, saturée par le passage quotidien de 640 trains. Selon les projections, d’ici 2030, le nombre de pendulaires sur le trajet lémanique atteindra 100.000, le double d’aujourd’hui. Mais le problème n’est pas dans le fond, il est dans la forme. Pourquoi, par exemple, ne pas décharger le site ferroviaire de Lausanne en le contournant? Un tronçon Vevey-Puidoux, voie future du trajet entre le Valais et Fribourg, aurait déjà été racheté par les CFF, un signe. On pourrait également imaginer une ligne directe Morges-Yverdon.
Il y a aussi cette question à laquelle personne n’a obtenu pour l’heure de réponse: pourquoi les CFF privilégient-ils la politique du rase-mottes plutôt que celle de la taupe? A Lausanne et Genève, la régie ne voit pas d’autre solution que l’extension territoriale pour prolonger les voies. A Zurich, en revanche, c’est en creusant qu’elle a trouvé la solution. Ce qui est supportable financièrement outre-Sarine ne l’est plus sur les bords du Léman, allez savoir pourquoi. Jeudi soir, Dominik Steiner, Marco Pagni et Barbara Fournier, du «Collectif Gare», ont procédé à un état des lieux du projet d’agrandissement de la gare. Un nouveau concept de desserte ferroviaire de la région de Lausanne qui coïncide avec une aberration. Comme l’observe Jean-Claude Cochard, un cheminot basé aux Avants venu apporter sa pierre à l’édifice, la maintenance des trains s’effectue aujourd’hui partiellement à Brigue, à deux heures de trajet! Or elle était jadis centralisée dans les hangars qui abriteront le futur musée.
Car c’est bien là que se situe un autre nœud qui n’est pas ferroviaire, cette fois: les travaux projetés incluent aussi la construction du nouveau Musée cantonal des Beaux-arts, estimée à 75 millions de francs. Ce n’est peut-être pas un hasard si trois jours avant la première réunion du «Collectif Gare», les députés lausannois ont donné leur vert à un échange de terrain avec les CFF. Mieux vaut se dépêcher, sait-on jamais.
C’est ainsi que la construction du «pôle muséal» – ainsi pompeusement nommé parce qu’il englobe également le musée de l’Elysée (photographie) et le Mudac (design et arts appliqués contemporains) – ouvre la voie à un chantier pharaonique. Plus de 50.000 mètres carrés sont concernés. «En gros, une dizaine d’années de travaux devraient toucher – outre la zone de la Gare, des Epinettes et du Simplon – une surface allant de Villard à Montbenon, en passant par Ruchonnet, Fraisse et Grancy», détaille le collectif. Lequel ne manque pas d’élargir le débat aux aspects sociologiques et urbanistiques. Membre du Collectif, l’ingénieur Roland Wetter a souligné que des travaux massifs sont prévus à l’endroit du bâtiment de la Poste, à l’Est de la gare, «avec la possible construction d’une tour qui s’inscrit dans la logique ‘bling-bling’ de plusieurs autres mégaprojets menaçant la qualité et l’harmonie du tissu urbain et social lausannois».
Les faux «bobos» de Genève
A Genève, les riverains de la gare de Cornavin connaissent, eux-aussi, l’appréhension d’un prochain séisme. La situation n’a rien à envier au plan des démolitions lausannoises. C’est toute une partie du quartier des Grottes, derrière la gare, direction Servette, qui est menacée. Des vieux bistrots populaires comme les Cheminots, pourraient disparaître. Ici, la résistance est regroupée sous la bannière d’un «Collectif des 500» dont un représentant, Nicolas Hugo, se trouvait jeudi soir à Lausanne pour dénoncer une image fausse: «on colle l’étiquette d’enfants gâtés aux habitants des Grottes. On veut ainsi minimiser l’impact des destructions. Mais nous n’avons rien de bobos». CC
J’écris de l’état de New York où j’habite. Je dois dire que j’éprouve bien de la tristesse en apprenant l’existence de cette velléité de gigantisme qui a réussi à se couler dans les âmes de nos politiques (je suis citoyen suisse).
Il faut absolument combattre le gigantisme sous toutes ses formes. Il est essentiellement lié à une forme non-renouvelable de société industrielle, c’est-à-dire une société dont le fonctionnement présuppose des sources d’énergie fossile illimitées. Or une source d’énergie fossile illimitée est une contradiction « in adjecto »: il n’existe aucune source de quelque fossile que ce soit qui soit illimitée.
S’engager dans un gigantisme quelconque à une époque de crise écologique massive et de changement climatique témoigne d’une conscience anachronique et quasiment suicidaire.
De surcroît, le projet en question est inacceptable du point de vue du sentiment esthétique holistique des structures architecturales de la ville. Or ce point de vue compte pour beaucoup dans le façonnement de la santé psychique des habitants d’une ville.
Je vous rejoins totalement lorsque vous mentionnez l’influence de l’esthétique de nos lieux de vie sur la santé psychique. Cependant la vente d’antidépresseurs est un bon fonds de commerce.
Dans cette région nous sommes un peu complexés d’avoir « un train de retard » et ne savons pas saisir l’occasion pour tirer profit des erreurs des autres. Par exemple, je crois savoir qu’aux USA l’engouement pour les « mall » est en train de diminuer. Ici il n’y a pas un projet urbanistique (et ils sont nombreux) qui ne comprenne pas un centre commercial.
Je me demande si, dans notre canton, à force de grossir, la grenouille ne va pas exploser.
A Pivoine:
Justement, pour autant que tout ce qui est local, et non pas global, c’est-à-dire en fin de compte imposé d’en haut par des intérêts gigantesques exogènes (par des cartels multinationaux ou transnationaux), a tout de même réussi à persister en Suisse, la Suisse n’est pas en retard, mais bien en avance, ou, plus précisément, sur la bonne voie.
Le local, le modeste, l’artisanal (eh oui!), l’agriculture non-industrielle, les modes de transport publics, les jardins potagers, les énergies renouvelables, les bicyclettes, l’instruction publique, et cetera, voilà l’avenir. Dans la mesure où la Suisse ne s’est pas précipitée pour détruire ces structures et ces pratiques traditionnelles, ainsi que son urbanisme non-moderniste, elle est précisément en avance et non pas en retard.
C’est là ce que les politiques complexés en question ne semblent pas encore avoir saisi. Il est temps que le peuple leur donne quelques leçons.
A Pivoine:
Aux États-Unis, il y a en effet un mouvement écologique anti-gigantisme, prônant ce qui est local, et, dans une certaine mesure, même anti-industriel: parmi ses représentants les plus vocaux on compte James Howard Kunstler (auteur, polémiste et journaliste), dont le livre « The Long Emergency » a secoué beaucoup de gens, Richard Heinberg, qui vient de publier « The End of Growth » (« La fin de la croissance »), spécialiste des questions énergétiques, en particulier du pic pétrolier, John Michael Greer, auteur de « The Long Descent, » qui décrit le destin des sociétés industrielles lorsqu’elles viendront à manquer sérieusement de leur drogue énergétique favorite, les sources d’énergie fossiles (également le sujet de l’ouvrage de Kunstler), et l’essayiste et agriculteur Wendell Berry.
Kunstler a aussi beaucoup écrit sur les questions d’urbanisme: il est résolument anti-moderniste dans ce domaine et, bien entendu, contre les « strip malls » et « shopping malls ». Ses polémiques à ce sujet sont sans concession.
Parmi les organisations et les personnalités qui travaillent très concrètement pour changer cet état de choses, je me bornerai à citer l’exemple du très dynamique physicien Marcin Jakubowski et de son organisation Open Source Ecology (voir son site Internet, opensourceecology.org/).
Jakubowski a délaissé l’université, acheté de la terre et s’est transformé en agriculteur et constructeur de machines agricoles au coût beaucoup plus abordable que celles disponibles sur le marché. Les plans de ses machines et les instructions pour leur fabrication sont disponibles gratuitement sur le site Internet de Open Source Ecology. Jakubsowki forme aussi des jeunes gens nouvellement sortis des universités états-uniennes, qui n’arrivent pas à trouver de travail, décident de se recycler et de réorienter radicalement leur parcours de vie.